Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner de Christine Citti
Des lieux qui n’ont de foyer que le nom

Que sait-on de tous ces jeunes abandonnés par leurs parents ou retirés de la famille pour maltraitance, négligence, inceste, recueillis en famille d’accueil et qui passent leur journée en foyer, encadrés par des éducateurs spécialisés ? Pas grand-chose. Heureusement, des artistes comme Jean-Louis Martinelli s’engagent pour faire savoir. Le cinéma aussi s’intéresse à la question avec quelques réussites : La Tête haute d’Emmanuelle Bercot (2015), Pupille de Jeanne Herry (2018), Hors normes d’Eric Toledano et Oliver Nakache (2019). Mais de là à obtenir des changements ...
Selon Isabelle Jenoc, représentante de la commission des droits de l’enfant à Amnesty international, chaque année 350 000 enfants sont pris en charge par l’aide sociale à l’enfance (ASE) dont 170 000 placés. Alors que ces enfants, souvent très jeunes, en grande instabilité sociale et émotionnelle, violentés physiquement et psychologiquement, devraient être protégés, ils sont bien souvent confrontés dans les institutions aux mêmes problèmes qui les y ont conduits. Les cas de maltraitances, de viol dans les familles d’accueil ne sont pas rares, sans parler de la prostitution. Les structures dysfonctionnent de plus en plus. Pas de budget, pas de moyens, des éducateurs découragés, souvent en burn out, accablés par une charge mentale exorbitante et qui ne savent plus à quoi ils servent.

Le spectacle est né presque par hasard. Le metteur en scène Jean-Louis Martinelli, très attentif aux questions sociales (Catégorie 3.1, Kliniken en ont témoigné magistralement), a entrepris un travail dans un foyer de jeunes en situation précaire en Seine-Saint-Denis où Christine Citti l’a rejoint. A l’issue de cette expérience, celle-ci s’est sentie impuissante face à ces existences déchirées. Alors elle a écrit ce texte pour que, à travers ses mots, ils puissent se faire entendre et pour que le monde sache ce qu’ils endurent. Elle joue son propre rôle de témoin impuissant dans ce spectacle qui met en scène une dizaine de très jeunes acteurs, tous investis avec une folle énergie, qui jouent cash. Ils interprètent une poignée de jeunes destins fracassés. Gardes à vue, trafics de drogue, violence contre les autres, contre soi, ces enfants ne se supportent plus eux-mêmes à force de douleurs. Ils en veulent à la terre entière et les éducateurs sont leur première cible. Ceux-ci font ce qu’ils peuvent mais désespèrent de ne pas avoir les moyens de les protéger de l’extérieur et d’eux-mêmes. Un constat d’échec sans aucune complaisance ni démagogie qui pourtant est traversé par une vitalité, une énergie qui ménage une place à une lueur d’espoir, une possibilité de réparation. Ce sont tous des combattants de la vie.
« En donnant la parole à ce groupe explique Jean-Louis Martinelli, nous refusons le monde tel qu’il est. Ce n’est pas un sentiment de découragement que nous voulons faire naître, mais bien un désir de changement, une volonté de transformation. » Voilà un théâtre documentaire franc et sacrément sensible qui ne se cache pas derrière de bons sentiments.
A l’issue d’une représentation l’équipe artistique est venue dialoguer avec le public. Un éducateur présent avec un groupe de jeunes a remercié le metteur en scène pour son travail. En lui disant : « On manque de ‘’nous’’ », il exprimait un sentiment d’abandon des pouvoirs publics et la nécessité cruciale du collectif.
Ils n’avaient pas prévu qu’on allait gagner de Christine Citti. Mise en scène et scénographie, Jean-Louis Martinelli. Collaboration artistique, Thierry Thieû Niang.Avec Christine Citti, Yoann Denaive, Loïc Djani, Evelyne El Garby-Klaï, Yasin Houicha, Elisa Kane, Leïla Loyer Kassa, Margot Madani,Edouard Montoute, Mounia Raoui, Amina Zouiten Costumes, Elisabeth Tavernier. Lumières, Jean-Marc Skatchko. Son, Sylvain Jacques.
A Paris, Théâtre du Rond-Point, jusqu’au 5 février 2022. Durée : 1h30.
Résa : 01 44 95 98 21
theatredurondpoint.fr
© Caroline Bottaro