Frères de sang

Histoires sans paroles

Frères de sang

Tous deux chorégraphes, metteurs en scène et interprètes, les Brésiliens André Curti et Artur Ribeiro nous enchantent depuis maintenant une quinzaine d’années avec leurs créations inclassables, d’une poésie infinie sans que jamais un mot ne soit prononcé. On avait pu les découvrir à Avignon en 1999 avec leur premier spectacle, Dos à deux, inspiré d’En attendant Godot de Samuel Beckett et dont il propose aujourd’hui une deuxième version, cette fois interprété par deux autres comédiens.

Avec Frères de sang, ils poursuivent leur exploration de la famille initiée avec Saudade-Terres d’eau (2005) et Fragments du désir (20O9). Dans l’espace sombre propice aux rêves, les images surgissent, à la fois évanescentes et précises, poétiques toujours, délicates, sur le fil de l’émotion. Le décès du père qui ouvre le spectacle est peut-être le déclencheur d’un retour vers l’enfance. D’emblée la mort et la vie ont partie liée. Deux fils font la toilette du mort et l’habillent tandis que le chœur géant des marionnettes pleureuses se lamente.

La table qui portait le cercueil devient une de ces balançoires qu’on trouve dans les squares, « ces tape-cul » qui font la joie des enfants. Au cœur d’un mini castelet, fermé par des portants chargés de robes se tient la mère (excellente Cécile Givernet, danseuse de formation). L’Argentin Matías Chebel interprète le troisième frère, rejeté par les aînés ; tour à tour ils cherchent à supplanter les autres dans le cœur de la mère. Jeux d’enfants, rivalités, complicités, les évocations visuelles des sentiments enfantins ont plus de plus de précision que n’importe quel discours ; elles nous cueillent au plus intime de notre expérience avec cette même force émotionnelle indicible qu’on expérimente parfois lorsqu’un parfum, une odeur, croisés par hasard, nous renvoient sans transition à une situation affective ancienne (expérience de la sensation immortalisée par Proust).

André Curti et Artur Ribeiro ont un sens exceptionnel des images très graphiques qu’ils chorégraphient avec une grâce et un sens esthétique toujours en lien avec l’intention, jusque dans le moindre détail. On lit chaque geste, chaque expression comme dans un livre ouvert. L’onirisme omniprésent maintient les émotions à distance dans l’espace abstrait de la mémoire, baigné par la musique de Fernando Mota. Cela crée parfois cette impression d’étrangeté et de proximité lointaine, qui, dans un tout autre registre, et toute proportion gardée, caractérisent l’esthétique des spectacles de Joël Pommerat. Avec, Frères de sang, spectacle tout public de grande qualité, André Curti et Artur Ribeiro poursuivent l’élaboration d’un répertoire exigeant et original.

Frères de sang par la compagnie Dos à deux. Ecriture, mise en scène, chorégraphie et sénographie, André Curti et Artur Ribeiro. Avec André Curti, Artur Ribeiro, Matías Chebel, Cécile Givernet. Musique Fernando Mota. Marionnettes et costumes, Natacha Belova. Présence Pasteur, jours impairs, jusqu’au 28 juillet. Résa : 04 932 74 18 54. Durée : 1h20. Jours pairs : Dos à deux, 2ème acte.

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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