Désobéir de Julie Bérès et Kevin Keiss

En avoir ou pas

Désobéir de Julie Bérès et Kevin Keiss

Désobéir, créé en 2017, est né d’une commande du théâtre de La Commune à Aubervilliers faite à des artistes sur le thème « Qu’est-ce qu’Aubervilliers vous inspire ? ». Le spectacle, initialement intitulé Désobéir, pièce d’actualité, écrit par Kevin Keiss et Julie Bérès, avec la collaboration d’Alice Zeniter, est nourri de propos documentés auprès de jeunes femmes de l’immigration, de l’expérience personnelle des comédiennes et de l’imaginaire des auteurs.
Julie Bérès met en scène un théâtre social et politique, critique, joyeux, traversé d’une fougueuse énergie vitale, un théâtre tel que le pratique Ahmed Madani (Flamme(s), Incandescences) depuis longtemps et qui semble aujourd’hui, plus que jamais, indispensable. Le spectacle A mon âge je me cache encore pour fumer (2009) de Rayhana, mis en scène par Fabian Chappuis, qui réunissait neuf femmes dans un hammam en Algérie, traitait magnifiquement de la question féminine dans la société. Rapports à la famille, à la religion, aux hommes, à la sexualité, soumission plus ou moins consciente aux diktats masculins.

Dans l’espace du plateau noir et nu, voici Nour. Vêtue d’un hijab noir, assise sur une chaise à l’avant-scène, elle raconte comment, pour réparer l’insupportable injustice du monde, elle a été prise dans la spirale du radicalisme pour l’amour d’un homme qui s’est révélé marié. Discrète, tendue sous couvert de douceur souriante, elle est l’une des combattantes qui se rebellent contre un statut imposé, qui revendiquent leur liberté, mais ont aussi à se bagarrer contre elle-même, contre le conditionnement de leur éducation. Elles ne sont que quatre et l’on croirait un bataillon complet. L’une s’indigne qu’il faille cacher son corps pour se protéger de la concupiscence masculine et imagine avec malice la situation inverse où ce serait les femmes qui ne pourraient réprimer leurs pulsions sexuelles. Une autre s’étonne que les religions prévoient un seul livre pour tout le monde alors que chaque personne est unique.
Charmine Fariborzi, danseuse de hip hop, qui maîtrise avec grâce le popping, l’art de danser au ralenti, raconte, au fil d’enchaînements syncopés, comment elle a dû se battre contre la violence de son père. Le spectacle pousse les portes de l’intime, élargit le propos à la question de la France-Afrique avec le discours de Dakar prononcé par Nicolas Sarkozy (2007) qui s’engouffre dans le cliché de l’homme africain, le décline avec humour quand un spectateur est prié de lire les répliques exactes d’Arnolphe dans L’Ecole des femmes de Molière en réponse à une Agnès dévergondée et impertinente, petite vengeance contre un metteur en scène qui n’a pas voulu d’une Agnès noire.

Les filles de Désobéir doivent mentir aux autres pour s’affranchir des injonctions de la famille, de la société ou de la tradition. Dans La Tendresse (2022), second volet du diptyque, les garçons se mentent à eux-mêmes pour se conformer au modèle sociétal masculin. Le spectacle explorera d’autres voies pour assumer une masculinité apaisée, sans enjeu de pouvoir.
Mené par quatre comédiennes excellente (le soir où on a vu le spectacle : Ava Baya, Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Bénicia Makengele), Désobéir donne la parole à celles-là qui « ont des couilles », comme elles disent et n’ont pas l’intention de se laisser abattre par le premier préjugé venu.

Désobéir, conception et mise en scène Julie Bérès. Dramaturgie Kevin Keiss. Texte Julie Bérès, Kevin Keiss avec la collaboration d’Alice Zeniter. Avec Ava Baya, Lou-Adriana Bouziouane, Charmine Fariborzi, Bénicia Makengele, en alternance avec Sonia Bel Hadj Brahim, Déborah Dozoul, Julie Grelet. Scénographie, Marc Laîné et Stephan Zimmerli. Costumes, Elisabeth Cerqueira. Son, David Segalen. Lumières, Laïs Foulc. Video, Christian Archambeau. A Paris, au Théâtre du Rond-point, jusqu’au26 juin à 20h30.Durée : 1h15.

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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