Aux Chapiteaux de La Villette jusqu’au 26 octobre
Decouflé au fil du temps
"Entre-temps", la dernière chorégraphie de Philippe Decouflé explore le temps. Epatant.

A soixante ans passés et plus de quarante ans de créations au compteur, Philippe Decouflé s’attaque frontalement à la question du temps. Laquelle par définition taraude tous les chorégraphes, la danse étant la gestion du temps d’un ou plusieurs corps en mouvement dans l’espace. Avec une équipe de danseurs qui ne sont plus de la prime jeunesse, venus de sa propre troupe, DCA (fondée en 1983) ou d’ailleurs, celui qui a illuminé les Jeux Olympiques d’Albertville en 1992 n’en finit pas de nous surprendre.
Entre-temps, son dernier spectacle, porte bien sa marque de fabrique mais présente un ruban inédit de tableaux, ou plutôt de sketches, qui tiennent du mime, du cirque, du cinéma muet, du happening surréaliste, du dessin animé et même du défilé de majorettes. Parlant simultanément de la marche du temps et du temps de la marche, dans son corps et celui des danseurs, le chorégraphe construit un spectacle d’une richesse inouïe, drôle et émouvant, débordant d’une énergie toujours renouvelée.
Aux neuf danseurs et danseuses qui constituent le noyau dur de la troupe s’ajoute un pianiste, l’excellent Gwendal Giguelay présent sur scène, aussi à l’aise dans des morceaux de Bach que dans la musique répétitive de Philip Glass. Ces silhouettes très caractéristiques, ces trognes un rien grotesques qu’on ne voit que chez Decouflé, sans parler des accessoires et des costumes (dont les maillots et bonnets à grosses rayures rouges) contribuent à l’ambiance en apparence foutraque – en réalité très construite – de la pièce.
A cette troupe s’agrège en deuxième partie du spectacle un groupe d’une vingtaine de volontaires amateurs qui s’installe sur des gradins en fond de scène, en miroir du vrai public, et participent à la chaleureuse parade finale avec la troupe Mais la vraie guest star du spectacle, c’est la bande-son enregistrée qui joue le rôle moteur d’activer, ralentir, stopper, rétrograder la marche du temps.
A travers les mailles du temps
Prendre – littéralement – le temps à bras le corps ne signifie pas pour Decouflé s’abandonner à la nostalgie. Encore moins de passer en revue quarante ans d’une carrière centrale dans la danse contemporaine. Il s’agit au contraire d’adopter une dynamique pour passer à travers les mailles du temps sans rien céder de son exigence. Et cela en puisant dans son propre répertoire ou en payant un tribut très honnête à ses confrères qui ont révolutionné avec lui la danse dans le dernier quart du XXème siècle : le regretté Dominique Bagouet, Régine Chopinot, Daniel Larrieu… « Des fantômes, dit-il, qui nous ont accompagnés ». Références puisées aussi dans ses films fétiches : Un jour sans fin de Harold Ramis, Fenêtre sur cour d’Alfred Hitchcock et Dogville de Lars von Trier, dont on entend des extraits audios. Mais l’empreinte décisive est bien celle de la compagnie de Pina Bausch, le Tanztheater Wuppertal, dont il reprend la manière de défiler devant le public au moment du salut.
Pas question pour autant de céder aux facilités du pastiche ni de la parodie. Ainsi lorsque Dominique Boivin, vieux compagnon de route, mime le fameux morceau de bravoure de Marlène Dietrich dans L’Ange bleu, Ich bin von Kopf bis fuβ.., il le fait à sa manière et dans le costume qui porte la marque de sa propre histoire. Ou encore lorsque le danseur mime de manière hilarante la séquence de l’énumération des chiffres dans Einstein on the beach, de Phillip Glass. Mais c’est bien Michèle Prélonge qui remporte la palme : vêtue d’une blouse de femme de ménage et armée d’un balai, elle s’escrime sur l’insubmersible tube « I will survive » de Gloria Gaynor. On en redemande !
Entre-temps, de Philippe Decouflé, aux Chapiteaux de La Villette jusqu’au 26 octobre, https://www.lavillette.com
Conception et mise en scène : Philippe Decouflé. Assistante à la mise en scène Violette Wanty. De et avec Dominique Boivin, Meritxell Checa Esteban , Catherine Legrand, Éric Martin, Alex Naudet, Michèle Prélonge , Yan Raballand , Lisa Robert, Christophe Waksmann, Gwendal Giguelay (piano) et la participation d’un groupe de volontaires amateurs.
Lumières, direction technique : Begoña Garcia Navas. Décor : Jean Rabasse assisté d’Aurélia Michelin. Costumes : Anatole Badiali. Accessoires : Lahlou Benamirouche. Construction : Guillaume Troublé, Léon Bony, Matthieu Bony. Composition musicale : Gwendal Giguelay, Stéphane Monteiro, Guillaume Duguet. Montage des voix : Alice Roland.
Photos : Pierre Planchenault
Tournée 2026 :
7 - 9 janvier, MC2 Grenoble
15 - 17 janvier : Bonlieu Scène Nationale, Annecy
29 janvier - 1er février : Anthéa Antipolis, Théâtre d’Antibes
25 - 28 février : La Comédie de Clermont-Ferrand
25 - 29 mars : Théâtre de Caen
16 - 17 avril : Théâtres de la Ville de Luxembourg



