Candide, si c’est ça le meilleur des mondes, Maëlle Poesy/Voltaire/Kevin Keiss

Candide, si c'est ça le meilleur des mondes, Maëlle Poesy/Voltaire/Kevin Keiss

On a tous étudié Candide de Voltaire à l’école mais probablement trop occupés par nos préoccupations prioritaires d’adolescents, on n’a peut-être pas tous saisi le sel, la vivacité, l’intelligence, la fantaisie de ce conte philosophique d’une portée universelle. Le spectacle de Maëlle Poesy propose une théâtralisation du récit qui remplit la fonction d’une lecture en images. Ce jeune homme qui court le monde et traverse mille aventures aussi absurdes que sanglantes, de Wesphalie en Turquie, en passant par la Bulgarie en guerre, par Lisbonne, son tremblement de terre et son Inquisition, par les Amériques, ses Indiens, ses Jésuites et son Eldorado, sans cesse confronté à la folie des hommes, est en quête de sens et par là même d’identité. En cela, son odyssée est universelle.

Au commencement, Candide vivait en Wesphalie chez le baron Thunder-Ten-Tronckh dont il serait le neveu. Mais un baiser échangé avec Cunégonde, la fille du baron, l’expulse du Paradis régi par la pensée de son précepteur et philosophe Pangloss selon lequel « Les choses sont ce qu’elles sont et ne peuvent être autrement car nous vivons dans le meilleur des mondes possibles ». Exilé, jeté sur les routes accidentées du monde, Candide sera bien obligé de constater que la philosophie de son maître est constamment contredite par les événements. Voltaire entendait ainsi s’opposer à l’optimisme passif défendu par le philosophe Leibniz qui affirmait que rien n’arrive sans cause nécessaire et que ce faisant, tout va pour le mieux… Comme Pangloss tente de le démontrer une ultime fois à Candide : « Tous les événements sont enchaînés dans le meilleur des mondes possibles ; car enfin si vous n’aviez pas été chassé d’un beau château à grands coups de pied dans le derrière pour l’amour de mademoiselle Cunégonde, si vous n’aviez pas été mis à l’Inquisition, si vous n’aviez pas couru l’Amérique à pied, si vous n’aviez pas donné un bon coup d’épée au baron, si vous n’aviez pas perdu tous vos moutons du bon pays d’Eldorado, vous ne mangeriez pas ici des cédrats confits et des pistaches. » A ce faux raisonnement qui est en fait un vrai fatalisme, Voltaire préfère la confiance en l’homme, d’où la conclusion de Candide, retiré dans une métairie en Turquie avec son petit monde : « il faut cultiver notre jardin ». Conclusion qui pourrait être objet de discussion car elle vient à la suite d’une conversation avec un fermier turc épanoui et prospère qui se félicite d’être indifférent aux gesticulations du monde et affirme que « le travail éloigne de nous trois grands maux : l’ennui, le vice, et le besoin. » Mais tel n’est pas le sujet.

Cependant, là réside la seule réserve au spectacle si réussi de Maëlle Poesy ; la dernière phrase de Candide, si importante, tombe un peu à plat, sans perspective, ce qui en obscurcit le sens. Réserve vite balayée au regard du travail formidable accompli. Les choix et l’adaptation opérés par Maëlle Poesy et Kevin Keiss tirent les bons fils du texte et sont fidèles à la substance du récit et au ton ironique voltairien. La mise en scène est constamment inventive, inattendue ; construite évidemment sur l’architecture du conte, elle n’est jamais illustrative ni lecture déguisée mais bel et bien théâtre. Un théâtre qui n’a rien de conventionnel, dynamique et rythmé, qui fait confiance au texte autant qu’au corps dans des scènes qui usent à bon escient du vocabulaire de la danse pour traduire des situations irreprésentables comme la fuite sur les routes de Pangloss et Candide. Chaque scène exprime la quintessence du texte comme on extrait le jus d’un fruit. Le décor n’en est pas un au sens illustratif du terme, il est un support transformable habilement conçu pour accueillir les actions et il suffit d’un accessoire, pas toujours réaliste, pour caractériser un personnage ou sa situation. On suit avec gourmandise les aventures haletantes et picaresques de Candide menées bon train par des comédiens excellents, et l’on rit beaucoup à leurs facéties qui font écho aux extravagances du texte. Un spectacle original, intelligent, drôle et sérieux, une invitation burlesque à la conversation philosophique. A partir de 13 ans.

Rendons grâce au théâtre de la cité internationale de savoir depuis longtemps déniché les jeunes talents. Sans direction depuis près de 500 jours, son existence est très menacée et sa disparition, ou son amputation, serait une vraie perte pour la création artistique. Pour le soutenir, on peut signer la pétition sur le site.

Candide, si c’est ça le meilleur des mondes, d’après Voltaire, mise en scène Maëlle Poesy, écriture et dramaturgie Kevin Keiss ; adaptation Kevin Keiss et Maëlle Poesy. Scénographie Alban Ho Van ; costumes, Camille Vallat ; lumières, Jérémie Papin ; son, Samuel Favart Michka. Avec Caroline Arrouas, Gilles Geenen, Marc Lamignon, Jonas Marmy, Roxane Palazzotto. Au théâtre de la cité internationale jusqu’au 24 janvier 2016, lundi, mardi et vendredi à 20h, jeudi et samedi à 19h, dimanche à 15h30. Durée : 1h45. Tél :01 43 13 50 50.
www.theatredelacite.com

© vincent Arbelet

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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