Les Femmes de la maison de Pauline Sales
Trois époques, trois focus sur l’évolution de la question du féminisme
Joris Martins, un homme riche a offert une maison à une photographe qu’il lui rachètera alors qu’il en est propriétaire, parce qu’elle a besoin d’argent et qu’il l’a beaucoup aimée. Un étrange début dont la nécessité ne frappe pas. Finalement, un peu par hasard, la maison finit en résidence d’artistes. Puis devient une maison des écritures féminines, ou féministes, subventionnée. L’homme, mécène par nature, a laissé faire, un peu dépassé par la situation mais content de l’être. La pièce qui se déroule sur trois générations, années 50, années 60 et aujourd’hui, interroge la place de la femme artiste dans la société.
Simone s’évertue à s’arracher à son rôle d’épouse et de mère pour tenter de se construire hors des sentiers battus du patriarcat, mais en vain. Plus tard ce seront Miriam et Judy toutes deux artistes, qui donneront une identité franchement féministe à la maison en écho à l’exposition Women house montée par Miriam Shapiro et Judy Chicago qui s’était tenue à Los Angeles en 1972 autour de la question du statut de l’espace domestique. Dès 1929, dans son essai Une chambre à soi, Virginia Woolf avait théorisé la nécessaire indépendance des femmes qu’elle encourageait à trouver une chambre qu’elles puissent « fermer à clé sans être dérangées ».
L’auteur imagine trois espaces, trois époques pour une réflexion éminemment politique sur l’évolution du regard porté sur les femmes depuis 70 ans.
Seule figure masculine, Vincent Garanger, complice de longue date de Pauline Sales avec qui il a dirigé le théâtre Le Préau–Centre dramatique national de Normandie–Vire, incarne un personnage ambigu, bienveillant, soucieux de ne pas être accusé de paternalisme ou de machisme, et doté d’un certain sens de l’autodérision.
Le texte élargit le propos à la question de classe avec l’irruption sur scène d’Annie qui explique comment c’est le mouvement féministe qui lui a permis de s’arracher à sa condition de pauvre, avec la femme de ménage (interprétée par l’excellent Vincent Garanger), victime absolue du système. Le titre prend à rebrousse-poil la formule « femme au foyer » pour mieux dégommer les diktats du patriarcat.
La dernière séquence est la plus intéressante, la plus riche, la plus enlevée. La maison est le cadre de débats animés entre trois femmes liées par l’écriture mais que tout oppose. L’une rêve d’écrire mais se trouve nulle et ne parvient jamais à franchir le cap de la première ligne. Plus féminine que féministe elle regrette le temps où l’on pouvait se laisser harceler par les hommes sans culpabiliser, où l’écriture inclusive n’existait pas ; ce point de vue hérisse la plus radicale des trois qui refuse d’être définie par son genre et cultive l’androgynie et le sport. La troisième est une auteure déjà reconnue dont la carrière semble assurée. Toutes les femmes de la maison sont interprétées par un trio de comédiennes remarquables, Olivia Chatain, Anne Cressent et Hélène Viviès.
Pauline Sales brosse à très grands traits l’histoire du féminisme avec légèreté et humour sans jamais prendre la scène pour une estrade. L’air de rien, elle poursuit la réflexion sur la norme, thématique déjà explorée avec le remarquable spectacle Normalito (2020).
Les Femmes de la maison, texte et mise en scène Pauline Sales. Avec Olivia Chatain, Anne Cressent, Vincent Garanger, Hélène Viviès. Scénographie Damien Caille Perret. Création lumière Laurent Schneegans. Création sonore Fred Bühl. Costumes Nathalie Matriciani. A Avignon, au 11 jusqu’au 26 juillet 2023 à 13h. Durée : 2h.
Texte édité aux Solitaires Intempestifs.
© Jean-Louis Fernandez