Dis à ma fille que je pars en voyage

L’horreur de la prison

Dis à ma fille que je pars en voyage

Deux femmes que tout sépare se retrouvent compagnes d’infortune dans une cellule. Elles ont mérité leur incarcération, l’une pour meurtre, l’autre pour malversation. Dominique vient d’une banlieue chaude. Très tôt la vie l’a malmenée dans sa chair, dans son esprit. La prison, elle l’a presque désirée. Ici, elle n’a pas à prendre de décisions, à faire des choix. Se lever, uriner, aller travailler, manger, dormir. Une routine lénifiante. Un abrutissement du corps et de l’âme salutaire pour cette femme qui n’attend rien de sa libération. Dominique fête sa septième année de prison. Caroline, elle, vient des beaux quartiers. Elle a connu l’aisance, la vie facile, les ors du pouvoir. Elle a signé des chèques, devenant un prête-nom. Sa naïveté l’a conduite à l’ombre. Caroline est raffinée. Tout l’horrifie en prison, de la cohabitation à l’absence totale d’intimité. Ici, les journées sont rythmées par les repas. Les deux femmes s’observent avec méfiance, laissant petit à petit des bribes de confidences émailler leur quotidien. Chacune reconstituant l’immense puzzle de leur vie d’avant le malheur. Un avant qui ne sera jamais pareil.

Pas de prêchi-prêcha mais une prise de conscience

Denise Chalem a beaucoup écouté, avant de se lancer dans l’écriture de cette pièce poignante qui expose sans jugement le monde carcéral féminin, rarement, sinon jamais, traité au théâtre. Elle décrit cet univers au ban de la société qui obéit à ses propres lois officielles et officieuses. Elle ne juge pas mais constate. La prison est une garantie de sécurité pour la société lui faisant croire qu’elle est une solution. La pièce fait débat. Le public est complètement hypnotisé par ces fragments de vie où prisonnières et gardiennes vivent la même galère de misère. Les matonnes subissent aussi l’enfermement. Il y a les gentilles, les méchantes et même des saintes laïques qui tentent l’impossible pour assouplir les conditions sordides de la détention. Pas de prêchi-prêcha, mais une prise de conscience : nous pourrions être enfermés. Y penser est salutaire pour ouvrir nos cœurs et nos esprits, pour essayer de comprendre et d’aider. Les deux femmes sont emblématiques. On pense, bien sûr, à Christine Deviers Joncour, le modèle étant juste anecdotique.
Christine Murillo est une comédienne instinctive. Elle donne beaucoup à ses personnages. Pas de timidité, pas de tiédeur dans ses compositions. Sa Dominique est taillée à coup de serpe, sa mauvaise humeur et sa crasse lui servent d’armure. Elle nous permet de porter un regard différent sur les autres milieux, plus compréhensifs. Elisabeth Vitali joue la paumée de la vie facile, une victime du grand capital. Elle est notre passeuse dans cet univers que l’on ne souhaite jamais visiter. Christine Guerdon joue toutes les gardiennes de prison. Elle est très impressionnante dans cet exercice exigeant.
Dis à ma fille que je pars en voyage est un spectacle qui émeut. La salle est mise KO par le cri désespéré du cœur enchaîné.

Dis à ma fille que je pars en voyage, de et mis en scène par Denise Chalem,
avec Christine Murillo, Denise Chalem et Christine Guerdon. Théâtre de l’Oeuvre. Tél. : 01 44 53 88 88.

Photo : Philippe Delacroix

A propos de l'auteur
Marie-Laure Atinault
Marie-Laure Atinault

Le début de sa vie fut compliqué ! Son vrai nom est Cosette, et son enfance ne fut pas facile ! Les Thénardier ne lui firent grâce de rien, théâtre, cinéma, musée, château. Un dur apprentissage. Une fois libérée à la majorité, elle se consacra aux...

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