Paris, Théâtre du Rond-point
D’autres familles que la mienne d’Estelle Savasta
Reconstruction après le désastre
S’il est un sujet rarement abordé au théâtre, c’est bien celui de l’aide sociale à l’enfance, de ses bénéficiaires et de ses victimes, des carences du système et du dévouement de ses acteurs. Ces autres familles, ce sont les familles d’accueil, plus ou moins bienveillantes, parfois plus intéressées par le rapport pécuniaire que par le geste généreux que cela implique. Pour l’enfant « placé », c’est la loterie permanente. Pile, il tombe dans une famille aimante qui va l’aider à se reconstruire ; face, il ira de famille en famille et finira peut-être en foyer jusqu’à ses dix-huit ans, âge où on lui montrera la sortie vers le monde réel, sans plus aucun accompagnement. Sauter dans le vide, atterrir dans la rue, sans boussole, et grossir les rangs des laissés-pour-compte de la société.
Estelle Savasta a longuement enquêté auprès des différents acteurs pour documenter son spectacle ; le sujet lui tenait à cœur depuis longtemps, mais son théâtre politique se distancie du théâtre documentaire. Elle a voulu parler de « reconstruction après le désastre. De trajectoires réinventées ».
Elle raconte l’histoire de Nora (Zoé Fauconnet, formidable interprète tour à tour sombre et lumineuse, grave et gamine). La force de son amitié avec Ariane (Clémence Boissé, la joie de vivre incarnée), une enfant adoptée qu’elle a rencontrée sur les bancs de l’école, sera le roc sur lequel elle pourra enfin s’appuyer. Toutes deux réinventent le lien d’affection qui leur a tant manqué. Ensemble, elles font plaisir à voir ; sans cesse saisies par des fous rires, elles explosent de vitalité, d’énergie joyeuse, dans ces brefs moments où elles semblent heureuses, libérées du poids du malheur. Nora est suivie par un éducateur spécialisé, joué par Olivier Constant dont la tempérance et la douceur semblent parfois l’apaiser. L’excellent comédien interprète plusieurs rôles, dont un professeur de danse excentrique dont l’extravagance laisse à penser qu’il n’est pas à la bonne place. Une évidente erreur de l’ASE.
Nora n’en a pas fini avec le malheur. Son amie Ariane est fauchée par une crise cardiaque et Nora désespérée perd pied, jusqu’à ce qu’elle rencontre Nino (Matéo Thiollier-Serrano), personnage lunaire qui l’embarque sur son étoile.
Le récit est conduit sous une forme éclatée, chaotique comme la danse de Nino, comme ces vies-là. Une table, quelques chaises, et un drap blanc tendu en fond de scène, sur lequel figure les initiales des protagonistes, N, N, N, et une fleur.
Les chansons italiennes participent à la tonalité du spectacle, elles rappellent que la puissance de l’émotion musicale souvent attachée à un événement.
D’autres familles que la mienne fait écho au film Pupille (2018) de Jeanne Herry, qui s’intéressait avec talent à la même question.
Le soir où nous avons vu le spectacle, les jeunes étaient nombreux dans la salle, tous silencieux et attentifs. Quand le théâtre politique et social rencontre la jeunesse, c’est une réussite artistique démultipliée.
D’autres familles que la mienne. Texte Estelle Savasta, avec la collaboration des interprètes. Avec Clémence Boissé, Najda Bourgeois, Olivier Constant, Zoé Fauconnet, Valérie Puech, Matéo Thiollier-Serrano. Musique, Ruppert Pupkin. Scénographie, François Gautier-Lafaye. Lumière, Léa Maris. Costumes, Cécilia Galli. Vidéo, Antoine Giampaolo et Kristelle Paré. Paris, Théâtre du Rond-point jusqu’au 19 octobre 2025. Durée : 1h25.
www.theatredurondpoint.fr
© Danica Bijeljac
Prochaines dates
• du 05/12/2025 au 06/12/2025 - Paris - Théâtre de Sartrouville - Sartrouville (78)
• le 07/03/2026 - Centre Culturel - Vitré (35)
