Festival d’Avignon In

Territoires de Wajdi Mouawad

Territoires de Wajdi Mouawad

Pour la 63ème édition du Festival d’Avignon, les directeurs,Vincent Baudriller et Hortense Archambaut, ont invité Wajdi Mouawad comme artiste associé à la programmation, selon le principe qu’ils ont instauré depuis qu’ils assurent la direction du Festival. On se souvient du tollé provoqué par le choix de Jan Fabre en 2005. Le choix de Mouawad, après Romeo Castellucci et Valérie Dreville (2008), indique une franche volonté de diversité. Le théâtre fondamentalement narratif de Mouawad, sa double, voire triple culture, libanaise, française, québécoise, les thématiques fondatrices de son œuvre ont ouvert sur la multiplicité des espaces singuliers qui composent cette édition. L’artiste associé ne participe pas directement aux choix de la programmation qui est plutôt le résultat d’une lente imprégnation. Vincent Baudriller et Hortense Archambault sont allés au Liban et au Québec, ils ont lu les livres et rencontré les gens qui comptent pour lui. S’il ressort de cette édition une thématique fédératrice qui irrigue l’ensemble des spectacles, la guerre et ses avatars, les artistes Libanais et Québécois n’ont en commun avec Wajdi Mouawad que le territoire géographique ; disons qu’ils offrent des regards sur le monde vu depuis leur propre fenêtre, selon la formule de Mouawad. On ne parlera pas ici de la danse ni de la musique. Le théâtre, côté Québec était représenté par Denis Marleau et Christian Lapointe ; On regrette l’absence de Robert Lepage, grand artiste québécois que Wajdi Mouawad admire et dont il a fait un des personnages de sa pièce Seuls. Du côté du Liban, on a pu découvrir le séduisant travail de Lina Saneh et Rabih Mroué. Signalons l’intéressante exposition de Joana Hadjithomas et Khalil Joreige, … « Tels des oasis dans le désert », installée dans l’église des Célestins, qui interroge l’histoire et la mémoire de leur pays, en particulier à travers un double film tourné en 2000 et 2007 dans lequel sept anciens détenus du camp de Khiam dans le sud-Liban lors de l’occupation israélienne, témoignent de leur détention et commentent la destruction du camp en 2006.

Wajdi Mouawad

Né au Liban en 1968, Wajdi Mouawad quitte son pays en 1976 pour la France à cause de la guerre civile. En 1983, n’ayant pu obtenir les papiers leur permettant de rester en France, ils s’exilent à nouveau, cette fois pour le Québec. Si les expériences de la guerre et de l’exil sont au centre de son œuvre, le cœur battant en est la poésie. Les mêmes termes reviennent sans cesse à son propos (guerres, exil, identité) comme autant de mots clés qui finissent par limiter l’œuvre à sa dimension autobiographique. A ce sujet, laissons la parole à l’auteur : « Lorsque je me réveille le matin, je retrouve mon intimité et quittant mon lit pour retrouver la personne qui partage ma vie, je retrouve ma vie privée. Sortant de chez moi, je rentre dans le social et frappant à la porte de mon psychanalyste, je rentre dans le psychique. Mais cette course me menant de l’intimité de mon lit au divan du psychique ne s’est jamais arrêtée là, jamais elle ne s’est fracassée contre l’opacité du plafond. Depuis toujours, le plafond de la psychanalyse a trouvé à mes yeux une transparence qui m’a permis de m’échapper et d’atteindre autre chose. Métaphysique, joie ou tragédie. Autre chose proche de la folie que ni l’intime, ni le privé, ni le social, ni le psychique ne parvient à décrire. Poésie. Les plafonds peuvent être transparents. Ainsi en est-il d’Incendies, de Forêts, de Littoral, de Willy Protagoras enfermé dans les toilettes. Ces pièces feront sans doute songer aux événements qui ont eu lieu cet été au Liban. On serait tenté et c’est normal de saisir ces spectacles à la lumière des événements qui ont déchiré mon pays natal : “ L’auteur a écrit ces pièces car il a connu la guerre civile”. […] C’est un raisonnement qui prend en compte l’intime (l’auteur est Libanais), le privé (il a connu la guerre avec sa famille), le social (il a dû fuir le pays et s’exiler) et le psychique (ça a dû le traumatiser), mais ce raisonnement est incomplet car il ne prend pas en considération le plus important car le plus mystérieux : la transparence des plafonds. » Les pièces de Wajdi Mouawad creusent un même sillon pour comprendre « l’étrange chagrin » qui l’étreint : « L’enfance est un couteau planté dans la gorge ». Elles sont conçues pour se déployer sur un mode narratif et dans une durée qui s’apparente à la tragédie antique. Cette affirmation de la narration épique, parfois jugée trop bavarde, voire naïve, a souvent été mal comprise en France. Mauvais procès qui a longtemps pénalisé cette œuvre protéiforme qui, envers et contre tout, n’hésite pas à solliciter l’attention soutenue et l’imagination du spectateur. Première pièce programmée en France, Littoral est présentée en 1998 aux Francophonies de Limoges, puis en 1999 au Festival d’Avignon. Depuis, le travail de Wajdi Mouawad est soutenu ardemment par une vingtaine de structures culturelles et en premier lieu trois d’entre elles, fidèles de la première heure, Le festival des Francophonies à Limoges, le Théâtre 71 de Malakoff, et L’espace André Malraux à Chambéry où il est artiste associé depuis 2005. En 2008, il a présenté Seuls, au Festival d’Avignon, en 2009 il en est l’artiste associé. Le Sang des promesses est une tétralogie des quatre éléments, eau (Littoral), feu (Incendies), terre (Forêts), air (Ciels), où sont d’abord interrogés, dans les trois premiers volets, la question de la promesse non tenue et de ses conséquences, des racines et de l’identité. Ciels viendrait contredire cette idée en supposant que l’on peut se construire dans l’ignorance de son passé et de ses origines. Avec Ciels, une page se tourne sur tous les plans : formel, poétique, narratif.

Le Sang des promesses : Littoral/Incendies/Forêts

Les spectacles constituant la trilogie présentée dans la cour d’honneur ont fait l’objet d’une réécriture et d’une harmonisation formelle. Chaque pièce a été écrite en étroite collaboration avec les comédiens, au fil des échanges et sur le plateau. En résumer la trame est un pari impossible tant les fils multiples sont tressés serrés. Un fils veut offrir à son père une sépulture dans sa terre natale dévastée par la guerre et par là-même se lance dans une odyssée intérieure (Littoral) ; une fille et son frère jumeau découvrent le secret de leur naissance et le destin tragique de leur mère (Incendies) ; les destins entrecroisés de sept femmes, liées par le sang, nous conduisent dans une traversée du XXe siècle de la guerre de 14 à 1989, de la forêt des Ardennes au Québec en passant par le Liban. La jeune Loup ira au bout de cette descente aux enfers pour renouer avec elle-même (Forêts). Depuis Le Soulier de satin de Paul Claudel mis en scène par Antoine Vitez en 1987, le public avignonnais n’avait pas connu telle traversée de la nuit. On se rappelle aussi le Mahâbhârata par Peter Brook, mais c’était à la carrière Boulbon. Cette expérience unique non seulement laisse un souvenir durable et ému mais elle modifie subtilement notre rapport au théâtre. On s’aperçoit que la notion de communauté artistique n’est pas un vain mot, d’autant plus quand le spectacle se prête particulièrement à une telle aventure, acteurs et spectateurs réunis dans une odyssée nocturne vécue ensemble. Quand au matin, le public se retrouve comme au sortir d’un rêve, des images plein la tête, il ne peut que remercier chaleureusement cette exceptionnelle équipe d’artistes de lui avoir offert un tel voyage. Il est regrettable que certains commentateurs en quête de sensationnel n’aient retenu que la durée du spectacle (11 heures), les conditions de la météo et la résistance des spectateurs au sommeil. Symptômes désolants d’une société bouffée aux mites du prime time, du people et du zapping, pour parler français. D’autant plus exaspérant, que Wajdi Mouawad s’emploie précisément à ramer à contre-courant de cette tendance moderne dans une démarche proche de l’héroïsme qui finit malgré tout par porter ses fruits au-delà des espérances puisque, grâce à un efficace bouche-à-oreille, le public compte une bonne part de jeunes enthousiastes. Preuve s’il en est que la jeunesse, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire, est avide de beauté, de poésie et de réflexion.

Il y a dans ses spectacles une vitalité exubérante alliée à une puissance poétique du verbe qui charrie, dans le creuset tumultueux des mots, un foisonnement d’images pleines de colère, d’amour, d’humour, de douleur et d’espoir confondus. Le scénographe Emmanuel Clolus a su occuper l’espace impossible de la cour d’honneur sans le nier dans un dispositif minimaliste où le moindre élément fait signe, parfois presque de manière subliminale. Une sorte de grand rideau de lames sur le mur de fond de scène frissonne au moindre souffle du vent, captant les différentes lumières, le bleu maritime de Littoral, le rouge sanglant d’Incendies. L’essentiel étant le jeu des comédiens, si formidables qu’on voudrait tous les citer. Emmanuel Schwartz est Wilfrid, le fils de Littoral, une présence inouïe, longiligne, la tête dans les nuages et le cœur et le corps en bataille. Patrick Le Mauff est le père fantomatique de Wilfrid et le paléontologue qui conduit la jeune Loup (magnifique Marie-Eve Perron) à la recherche d’elle-même dans la forêt barbare de ses origines. Et aussi Linda Laplante, Marie-France Marcotte, Catherine Larochelle, Véronique Côté, quelques-unes des sept femmes de Forêts. Et aussi Annick Bergeron et Andrée Lachapelle qui incarnent à des âges différents, Nawal, « la femme qui chante » dans Incendies. Et Jean Alibert qui interprète le chevalier Guiromelan qui vient au secours de Wilfrid dans ses cauchemars, et, dans Forêts, le personnage étrangement attachant d’Edmond le girafon. Au terme de ce cycle épique, s’élève la parole de Loup sur la tombe de sa mère qui enfin trouve la paix. Une oraison funèbre en forme d’espoir, malgré les orages qui grondent toujours à l’horizon de nos vies.

Le Sang des promesses : Littoral/Incendies/Forêts. Texte et mise en scène Wajdi Mouawad, dramaturgie Charlotte Farcet, scénographie, Emmanuel Clolus, lumière, Martin Labrecque, costumes, Isabelle Larivière, son, Michel Maurer. Avec Jean ALibert, Annick Bergeron, Véronique Côté, Gérald Gagnon, Tewfik Jallab, Yannick Jaulin, Andrée Lachapelle (en alternance avec Ginette Morin), Jocelyn Lagarrigue, Linda Laplante, Catherine Larochelle, Isabelle Blanc, Patrick Le Mauff, Marie-France Marcotte, Bernard Meney, Mireille Naggar, Valery Pankov, Marie-Eve Perron, Lhacen Razzougui, Isabelle Roy, Emmanuel Scwartz, Guillaume Séverac-Schmitz, Richard Thériault.
Textes édités chez Actes Sud-Papiers

Littoral © Christophe Raynaud de Lage
Incendies © Yves Renaud
Forêts © Thibaut Baron

Tournée de la trilogie :
Les 10 et 17 octobre au Grand T à Nantes ; Les 14 et 15 novembre aux Célestins à Lyon ; le 28 novembre au Théâtre national de Toulouse ; le 12 décembre au Théâtre de Sartrouville ; les 19 et 20 décembre à l’Espace Malraux - Scène nationale de Chambéry et de la Savoie.
Tournée nationale des spectacles présentés séparément

Ciels

Avec Ciels, Wajdi Mouawad a voulu renverser le cours des choses qu’il avait élaboré précédemment, bouleverser les idoles, contredire des paroles qu’il avait sacralisées, peut-être pour échapper à toute mise en équation réductrice et laisser grandes ouvertes les portes de l’imaginaire. Le fait est que Ciels est d’une tout autre facture. Le style a quitté le registre épique, même si on en sent parfois des échos. Il est résolument moderne, empruntant aux séries télévisées et le canevas et le rythme. Les parois du dispositif fermé, qui met le public au centre de l’action dans une position volontairement inconfortable, sont autant d’alvéoles, qui rappellent des vignettes de bandes dessinées, dans lesquelles se déroulent les différents tableaux. De peinture aussi il est question, avec L’Annonciation du Tintoret dont il faut déchiffrer les mystères pour sauver l’art et le monde. Cinq espions coupés du monde avec lequel ils communiquent par vidéo conférence ou messages audios doivent déjouer une menace d’attentat terroriste qui se révélera d’un genre inédit. Se situant dans un registre radicalement distinct du Sang des promesses, Wajdi Mouawad explore une voie d’expression nouvelle, déjà entamée dans Seuls, qui met à égalité l’écriture, les images et le son. Habitué à respirer en sa compagnie l’air des hauts sommets, on est un peu déçu malgré les qualités indéniables d’un spectacle servis par des comédiens magnifiques au jeu heureusement contrasté.

Ciels. Texte et mise en scène Wajdi Mouawad. Avec John Arnold, Georges Bigot, Valérie Blanchon, Olivier Constant, Stanislas Nordey, en vidéo, Gabriel Arcand, Victor Desjardins, et la voix de Bertrand Cantat. Dramaturgie, François Ismert, scénographie, Emmanuel Clolus, lumières, Philippe Berthomé, costumes, Isabelle Larivière, musique originale, Michel F.Côté, son, Michel Maurer.
Tournée :
Du 26 au 28 septembre 2009 aux Francophonies en Limousin à Limoges ; du 5 au 9 octobre au Grand T à Nantes ; du 15 au 22 octobre à la Comédie de Béthune ; du 6 au 14 novembre aux Célestins à Lyon ; du 19 au 22 novembre à la Comédie de Clermont-Ferrand ; du 27 novembre au 4 décembre au Théâtre national de Toulouse ; du 10 au 18 décembre à l’Espace Malraux à Chambéry ; du 2 au 6 mars 2010 à la MC2 à Grenoble ; du 11 mars au 10 avril au Théâtre national de l’Odéon à Paris ; du 11 au 23 mai au Centre national des arts à Ottawa ; en mai et juin à Montréal et à Québec.
© AFP

Une fête pour Boris de Thomas Bernhard par Denis Marleau

Denis Marleau est un autre artiste québécois apprécié en France. Il a été, après Robert Lepage et avant Wajdi Mouawad directeur artistique du Théâtre français d’Ottawa. Cet habitué du Festival d’Avignon, où il est invité régulièrement depuis 1996, crée des spectacles qui mêlent différentes disciplines artistiques, théâtre, marionnettes, musiques, arts visuels, nouvelles technologies. Il a marqué durablement les spectateurs qui ont la chance d’assister à sa mise en scène saisissante des Aveugles de Maerterlinck. Il a monté Une fête pour Boris, une pièce de jeunesse de Thomas Bernhard, pour trois comédiens (Sébastien Dodge, Christiane Pasquier et Guy Pion) et treize marionnettes virtuelles en soulignant l’influence sensible de Beckett (Oh les beaux jours) et de Genet (Les Bonnes) sur le jeune dramaturge. On y voit une Bonne Dame cul-de-jatte, qui fait corps avec son fauteuil blanc comme Winnie avec sa butte de sable, abuser de son pouvoir sur sa domestique et son mari cul-de-jatte qu’elle a sorti de l’hospice pour fêter son anniversaire. Le handicap physique est évidemment métaphorique et la couronne royale tient du déguisement qui ramène les personnages à un statut d’enfants se livrent à de cruels jeux de pouvoir, des marionnettes irresponsables. Si on reconnaît en germe la plume de l’irascible Bernhard qui manie un humour noir et corrosif pour stigmatiser son pays qu’il considère comme malade, la pièce montre vite des limites que la mise en scène inventive et le talent des acteurs ne parviennent pas toujours à transcender.

Une fête pour Boris. Texte de Thomas Bernhard, traduction Claude Porcell, mise en scène Denis Marleau, avec Sébastien Dodge, Christiane Pasquier et Guy Pion. Conception vidéo et scénographie, Stéphanie Jasmin, Denis Marleau, musique Nicolas Bernier, Jérôme Minière, son, Nancy Tobin, éclairage Marc Parent, mannequins, masque et poupée, Claude Rodrigue, costumes Isabelle Larivière. Durée : 1h25
Texte édité chez L‘Arche éditeur.
© Festival d’Avignon

Tournée :
1er et 2 octobre au Toboggan, centre culturel de Décines ; du 7 au 9 octobre à la maison de la culture d’Amiens ; les 13-14 octobre à L’Hippodrome, scène nationale de Douai ; les 21-22 octobre à la Comédie de Reims ; du 27 au 31 octobre au Manège de Mons ; les 13-14 novembre au Théâtre des Salins, scène nationale de Martigues ; 25-28 novembre au Théâtre national de Bordeaux-Aquitaine : les 3-4 décembre à La Passerelle, scène nationale de Saint-Brieuc ; les 9-10 décembre à L’Espace Jean-Legendre de Compiègne ; du 4 au 20 février 2010 à l’Usine C à Montréal ; du 24 au é7 février au Théâtre français du centre national des arts à Ottawa.

CHS de Christian Lapointe

Traumatisé par un accident qui l’a laissé gravement brûlé lors de l’enregistrement d’une émission de télévision, il a abordé la pratique artistique comme une source possible de résilience et de création. Revivre, par le truchement de l’art, l’expérience de la douleur, du choc, de la peur, du corps qui se délite, qui fond littéralement, une véritable descente aux enfers peuplée d’images de mort, pour renaître tel le Phénix de ses cendres. Dans un dispositif minimaliste très visuel subtilement éclairé par Martin Sirois, Christian Lapointe est assis dans un fauteuil, dans la pénombre, presque immobile, avec à ses pieds un jerricane d’essence. Sa voix intérieure, amplifiée, presque monocorde, occupe l’espace. Au-dessus de lui, une caissière de station-service à sa fenêtre, l’observe tandis qu’un scientifique commente ses propos. Aux antipodes de Wajdi Mouawad, Christian Lapointe évolue dans l’intimité de son expérience sans en excéder vraiment les frontières, bien que CHS, pour combustion humaine spontanée, affirme l’ambition de rejoindre l’expérience collective.

CHS. Texte et mise en scène Christian Lapointe ; scénographie Jean-François Labbé ; vidéo Lionel Arnould ; lumière Martin Sirois, musique et son Mathieu Campagna. Avec Sylvio-Manuel Arriola, Maryse Lapierre, Christian Lapointe.
© Yan Turcotte

Photo-romance de Linah Saneh et Rabih Mroué

Linah Saneh et Rabih Mroué se sont livrés à un exercice de style plus complexe et profond qu’il ne pourrait y paraître au premier coup d’œil. Une réalisatrice expose son projet à un responsable de la censure et de la légitimité des créations artistiques. Elle prévient qu’elle s’est inspirée mot à mot d’un ancien film italien connu mais qu’elle a transposé au Liban aujourd’hui. Une famille se prépare à participer à une manifestation dans la fébrilité des grands moments historiques. Tout Beyrouth est en effervescence car la ville est le théâtre de deux manifestations opposées. Restés seuls, une femme au foyer et un homosexuel de gauche vont se rencontrer et vivre une relation intime et fugitive en marge de l’événement. On aura reconnu l’argument du magnifique film d’Ettore Scola, Une journée particulière. Le spectacle joue habilement, et avec beaucoup d’humour, sur deux aspects - politique (la place et l’avenir de la gauche libanaise) et artistique (les codes de représentation théâtrale) - mais à plusieurs niveaux. S’immiscant comme par effraction dans la fiction, Linah saneh et Rabih Mroué mêlent images fictives et documentaires, comme le faisait Ettore Scola mais, s’éloignant de tout réalisme, ils ne jouent pas le jeu de la fiction jusqu’au bout. Ainsi, on assiste en même temps à une construction et une déconstruction du projet dans lequel ils se mettent en scène en leur nom propre tout en jouant un personnage. Le mode roman-photo apporte à la fois une distance amusée et une dimension nostalgique, source d’émotion. La relation entre la réalisatrice (Linah Saneh) et le représentant officiel (Rabih Mroué) tout en renseignant sur la situation de l’art au Liban, ajoute une dimension théâtrale supplémentaire qui joue aussi avec les codes de représentations puisque chacun est à la fois lui-même et un autre. Une brillante et réjouissante démonstration par l’exemple.

Photo-romance. Conception, texte et mise en scène Linah Saneh et Rabih Mroué, traduction Masha Refka, scénographie Samar Maakaroun, musique Charbel Haber. Bande-image, Linah Saneh, Rabih Mroué, Sarmad Louis, direction de la photographie, Sarmad Louis. Avec Linah Saneh, Charbel Haber et Rabih Mroué.

© Christophe Raynaud de Lage

Tournée :
Les 9-10 avril 2010 au Théâtre de l’Agora, scène nationale d’Evry et de l’Essonne ; en décembre au Hebbel an Ufer à Berlin ; du 15 au 24 avril à la Grande Halle de la Villette à Paris ; en avril à l’association libanaise pour les arts plastiques Ashkal Alwan à Beyrouth ; en juin au Festival des collines à Turin.

www.festival-avignon.com

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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