Paris, La Colline
Solness le constructeur de Henrik Ibsen
Vertiges fatals
Architecte vieillissant de grande renommée Halvard Solness, exerce un pouvoir sans appel tant sur son épouse Aline que sur ses jeunes collaborateurs Ragnar Brovik, fils de Knut son prédécesseur à la tête de l’agence, et Kaja Fosil dont il est l’amant. Il craint d’être supplanté par la génération montante. Il est surpris par la visite inopinée de Hilde, jeune fille rencontrée dix ans plus tôt lors de l’inauguration d’une tour, durant laquelle il avait promis à l’adolescente, fascinée par son aura, de lui “offrir un royaume et construire un château dans les nuages”. Elle vient demander son dû.
A partir de cette situation, qui croise le passé, les confidences et les élans érotiques, se révèlent sous des effets miroirs les angoisses, les tourments existentiels et la culpabilité ressentie par Solness. Cette dernière remontant à l’origine de la réussite de sa carrière, lors de l’incendie de la maison de sa femme où périrent ses deux fils en brisant son couple. Une prise de conscience douloureuse et désespérée au cœur d’un gouffre intérieur immense, que le constructeur, souffrant de graves vertiges, achève en se hissant par défi, à la demande de Hilde, au sommet d’une nouvelle tour et tombe dans le vide.
Dans cette pièce parue en 1892, Ibsen (1828 – 1906) aborde entre réalisme et symbolisme des aspects révélateurs de la condition humaine et des choix possibles à son accomplissement. Sans doute en puisant dans son expérience personnelle, et en navigant aux abords de la psychanalyse, de la philosophie. Avec une rigueur de construction où rien n’est superflu pour éclairer les nombreux thèmes abordés dans une progression finement articulée.
Ayant déjà abordé Ibsen à trois reprises (Hedda Gabler, Le Canard sauvage, Petit Eylof) Alain Françon apporte avec densité une nouvelle version prégnante de cette pièce peu souvent représentée. Avec sa rigueur coutumière, sa mise en scène tient à distance une part de ses excès lyriques et psychologiques pour mieux en exprimer la force, les conflits et les interrogations qu’elle soulève, en créant sans artifices une résonnance avec le monde d’aujourd’hui. Il s’est entouré de comédiens magnifiques qui portent avec densité chacun des personnages. Wladimir Yordanoff (Solness) exprime avec intensité les différentes facettes d’un homme blessé et torturé, Adeline d’Henry (Hilde) jeune pensionnaire de la Comédie-Française, irradie pas sa présence et sa vitalité, Dominique Valadié (Aline) est une émouvante épouse brisée, et l’ensemble de leurs partenaires mérite des éloges : Michel Robin (Knut), Gérard Chaillou (Docteur Herdal), Adrien-Gamba Gontard (Ragnar) Agathe L’huillier (Kaja). Cette grande réussite ne serait pas totale sans la contribution de Jacques Gabel, dont le décor changeant accompagne les trois actes, en offrant, sous une esthétique raffinée, des espaces évocateurs propices à intégrer les lumières subtiles et signifiantes de Joêl Hourbeigt variant opportunément les climats. Une représentation qui fera date.
Solness le constructeur de Henrik Ibsen, texte français Miche Vittoz, mise en scène Alain Françon, avec Gérard Chaillou, Adrien Gamba-Gontard, Adeline D’Hermy, Agathe L’Huillier, Michel Robin, Dominique Valadié, Wladimir Yordanoff. Décor Jacques Gabel, lumière Joël Hourbeigt, costumes Anne Auran-Dumour et Patrice Cauchetier, musique Marie-Jane Séréro, son Daniel Deshays. Durée 2 h 20. Théâtre national de la Colline jusqu’au 25 avril 2013
