Paris, Odéon-Théâtre de l’Europe, du 8 au 12 février 2012

Sang & Roses, Le Chant de Jeanne et Gilles de Tom Lanoye

Un chant funèbre

Sang & Roses, Le Chant de Jeanne et Gilles de Tom Lanoye

Encore une fois les talents de magicien de la scène de Guy Cassiers nous ont mystifiés, après les superbes Rouge décanté et Mefisto for ever présentés à Avignon lors d’éditions précédentes . Sang & roses (quel beau titre !), ou l’histoire de Jeanne la pucelle et de Gilles de Ray, un diptyque écrit en noir et blanc par Tom Lanoye, l’alliance entre l’innocence et la perversion, la vertu et le vice, l’ange et le diable, le pécheur et la sainte. Gilles, l’aristocrate violeur d’enfants, aussi noir soit-il, a protégé la blanche colombe venue au secours de la France. D’une certaine manière ne sont-ils pas deux cas pathologiques ? elle, schizophrène, tout à ses voix, lui pervers sexuel et tueur en série. Une piste possible, mais seulement une piste qu’il serait réducteur de privilégier. Si, guidé par le souci de montrer la toute puissance de l’Eglise, Guy Cassiers n’apporte rien à la connaissance historique stricte de ces destins, et ce n’est pas son propos. Il fait une œuvre originale saisissante dans le parallèle établi entre ces deux personnages de légende condamnés parce qu’ils vont au bout d’eux-mêmes : même traitement narratif dans les deux parties, même rythme, mêmes scènes de conciliabules politiques, écho entre les scènes du tribunal.

Une intimité spectaculaire

Le travail magistral de vidéo (Ief Spincemaille), allié à l’extrême finesse du jeu des acteurs, atteint de sommets de précision et de beauté plastique. Sur scène se déroulent les différents moments du drame et simultanément, projetés sur l’immense mur de plaques de métal, rappelant le matériau des armures des chevaliers, les visages en gros plan paradoxalement nous font pénétrer dans l’intimité de chacun. Contribuant à cette intimité, la sonorisation (Diderick de Cock) donne aux chuchotements une présence troublante grâce aux micros munis de bonnette de mousse qui assourdit la voix, en gomme les hauteurs, mais ceci au prix d’un appareillage disgracieux et encombrant qui n’a pas la discrétion des micros HF. Dommage. Si on devait faire une autre réserve, ce serait un regret de l’effacement du théâtre sur la scène au profit du dispositif des projections vidéo qui happent le regard. Si parfois on suspecte un effet facile, on est aussitôt emporté par les acteurs magnifiques, dont le visage, pourtant presque fixe, exprime mille nuances de sentiments ; ainsi de Jeanne, immense Abke Haring, petit être frêle armée de sa seule foi qui affronte le pouvoir sans frémir et dont le simple vêtement rouge dans lequel elle est drapée annonce la fin tragique. On retrouve avec plaisir Johan Leysen qu’on a la chance de voir sur les scène françaises, sombre et troublant Gilles de Rai et Katelijne Damen en reine dégénérée puis en mère affligée. Les riches costumes noirs de Tim Van Steenbergen aux sombres reflets inquiètent avec ces mains cousus qui semblent agripper les personnages et dont on ne comprend pas très bien le sens — représentent-elles les parasites du pouvoir, les crimes de chacun ?—, mais qui fascinent et ajoutent au climat malsain empuanti par l’immoralité de la fin d’un monde. Comme pour purifier ce cloaque de ses intrigues, tel un chœur antique, les voix séraphiques des chanteurs du Collegium Vocale Gent qui accompagnent l’action s’élèvent dans les belles lumières sépulcrales de Enrico Bagnoli, et font chanter les étoiles au diapason du chant funèbre de Jeanne et Gilles.

Sang & Roses, Le Chant de Jeanne et Gilles texte, Tom Lanoye ; mise en scène Guy Cassiers ; scénographie Guy Cassiers, Enrico Bagnoli et Ief Spincemaille ; video Ief Spincemaille ; lumière Enrico Bagnoli ; costumes Tim Van Steenbergen ; direction musicale Frank Agsteribbe. Avec Katelijne Damen, Stefaan Degand, Abke Haring, Han Kerckhoffs, Johan Leysen, Johan Van Assche, Jos Verbist, et les chanteur du Collegium Vocale Gent, Sylvia Broeckaert, Joao Cabral, Jonathan De Ceuster, Emilie De Voght, Stefan Dreximeier, Joachim Höchbauer, Vincent Lesage, Katherine Nicholson, Louise Wayman. Au théâtre de l’Odéon du 8 au 12 février 2012, à 20h, dimanche à 15h. Durée : 2h30.
Texte édité chez Actes Sud-Papiers

spectacle créé à Avignon en juillet 2011

Photo Koen Broos

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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