On ne sera jamais Alceste d’après Molière et la comédie classique de Louis Jouvet
Une double leçon de théâtre
Ces leçons de Louis Jouvet extraites de Molière et la comédie classique rappellent le magnifique spectacle de Brigitte Jaques-Wajeman, Elvire-Jouvet 40 (1986), avec le regretté Philippe Clévenot et Maria de Medeiros, qui donna lieu à un beau film de Benoît Jacquot (1987). Jouvet y faisait travailler ses élèves sur le Dom Juan de Molière. La mise en scène de Brigitte Jaques était grave, lourde du contexte de la guerre tandis que Lisa Guez opte pour la légèreté de ton, l’humour. Dans On ne sera jamais Alceste, Jouvet travaille sur la célèbre première scène de l’acte I du Misanthrope. La rigueur de l’artiste et l’envergure du maître font autorité et impressionnent les jeunes élèves interprétés par Gilles David, Didier Sandre et Michel Vuillermoz. Il est réjouissant de voir ces grands comédiens chevronnés intimidés, maladroits, hésitants, se faisant des niches de gamins, accablés par les remontrances du maître qui tente de leur inculquer sa conception du théâtre. « Ne jouez pas » dit-il aux jeunes gens interloqués par cette injonction saugrenue. Comprendre les mystères de l’art dramatique n’est pas chose aisée et voilà les trois néophytes ânonnant les alexandrins ou interprétant à l’excès. Le « patron », comme on l’appelait, ne leur laisse pas le temps de respirer ni de réfléchir, il faut enchaîner, répéter, chercher inlassablement le ton juste. Le rythme s’accélère, chaque comédien est tour à tour Alceste, Philinte ou Jouvet et chacun imprime aux personnages sa manière dans un tourbillon vertigineux, un carrousel qui se serait emballé sans jamais vraiment réussir à atteindre Alceste, personnage éternel, insondable, inaccessible. On ne saura jamais comment Molière le voyait en écrivant Le Misanthrope à sa table, c’est pourquoi Jouvet bannit toute interprétation de la pensée de l’auteur ; il considère que tout est dans le texte et qu’il faut se contenter de le dire en lui faisant confiance : « Le théâtre est chose spirituelle, un culte de l’esprit et des esprits ».
Un spectacle intelligent et drôle qui est en lui-même une leçon de théâtre.
On ne sera jamais Alceste d’après Molière et la comédie classique de Louis Jouvet. Adaptation Lisa Guez et Alexandre Tran. Mise en scène Lisa Guez. Avec Gilles David, Didier Sandre, Michel Vuillermoz. Lumières, Lila Meynard. A la Comédie-Française, Studio théâtre jusqu’au 8 mai à 18h30. Durée : 1h30.
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© Christophe Raynaud de Lage, coll. Comédie-Française