Aux Bouffes du Nord jusquau 1er novembre 2025
Nous, les héros de Jean-Luc Lagarce
Que deviennent les comédiens une fois les projecteurs éteints ?

La pièce rend un hommage tendre et ironique aux artistes qui arpentent les routes, nomades, « saltimbanques » qui s’accommodent du tout-venant, comme cette salle des fêtes vaguement aménagée pour l’occasion. On y retrouve le thème de Music-Hall (1988) avec son trio pathétique en tournée.
Le cadre élégamment décati du théâtre des Bouffes du Nord, auquel Peter Brook donna une seconde vie exceptionnelle de 1974 à 2010, est l’espace idéal pour cet ultime hommage au théâtre et à ses vicissitudes, artistiques, et interpersonnelles. Thème cher à Lagarce, la famille est doublement représentée : non seulement la vie commune en tournée suscite souvent des grincements comparables aux disputes familiales, mais la compagnie est constituée des parents, de leurs enfants, du grand-père, d’un fiancé et de quelques personnages extérieurs.
La scène se passe dans l’espace collectif des loges plutôt spartiate. Les comédiens sortent de scène, et l’on entend la rumeur d’un public mécontent. Les tensions sont perceptibles. Le public est mauvais, les costumes critiqués. On s’en prend à la fille aînée du patron, traitée avec méchanceté. Les aigreurs accumulées par les dures conditions d’exercice de leur art, les angoisses sur l’avenir, les conflits internes éclatent, et la bagarre parfois n’est pas loin. L’ambiance est électrique. Pourtant, l’après-spectacle aurait dû être joyeux puisqu’on doit y célébrer un mariage. Dans tous les cas, le théâtre ou « la vraie vie », la famille est gangrénée par les incompréhensions et les échecs de communication.
Clément Hervieu-Léger (nouvel administrateur de la Comédie-Française) a transposé la pièce dans les années 1980, une drôle d’idée qui entre en contradiction avec le texte où il est question de l’imminence de la guerre de 1914 et des Prussiens. Ce choix contribue à une certaine confusion et les musiques de cette époque n’arrangent rien.
Les comédiens sont excellents, Elsa Lepoivre particulièrement, qui réveille le texte et l’éclaire avec une énergie folle, mais le manque de rythme de la mise en scène bride leur jeu.
A l’époque où il écrivait Nous, les héros, Lagarce fréquentait beaucoup Kafka cité en exergue du texte. Le dramaturge emprunte presque tous les noms des personnages à son univers littéraire et même des notations physiques, ainsi que des passages parfois à peine modifiés. Par exemple, lorsque Raban déclare à Madame Tschissik : « Je suis devant vous et je tiens un discours à une statue au milieu de spectateurs sans pitié... »‚ elle répond : « la phrase est belle, elle est de qui ? » jeu secret de Lagarce qui en connaît bien l’auteur. Max, c’est Max Brod, l’ami de Kafka. Les Tschissik étaient des comédiens amis de l’écrivain, Eduardowa, une danseuse russe.
Peu souvent montée, Nous, les héros n’est pas la meilleure pièce du dramaturge et la mise en scène ne parvient pas à lui donner des couleurs. Il n’en reste pas moins que Jean-Luc Lagarce est un des dramaturges les plus originaux et sensibles du XXe siècle.
Nous, les héros de Jean-Luc Lagarce. Mise en scène Clément Hervieu-Léger. Avec Aymeline Alix, Clémence Boué, Jean-Noël Brouté, Olivier Debbasch, Vincent Dissez, Thomas Gendronneau, Judith Henry, Juliette Léger, Elsa Lepoivre de la Comédie-Française, Guillaume Ravoire, Daniel San Pedro. Paris, Théâtre des Bouffes du Nord, jusqu’au 1er novembre 2025. Scénographie Camille Duchemin. Costumes Caroline de Vivaise. Lumières Alban Sauvé. Collaboration artistique Aurélien Hamard-Padis. Direction musicale et arrangements Thomas Gendronneau.
www.bouffesdunord.com
© Juliette Parisot
prochaines dates :
• Les 5 et 6 novembre 2025 à La Cuisine - Théâtre Nationale de Nice
• Le 14 novembre 2025 au Théâtre de Rungis
• Le 18 novembre 2025 à l’Espace Jean Legendre / Compiègne
• Les 3 et 4 décembre 2025 au Théâtre de Caen



