« Sans Tambour » aux Bouffes du Nord jusqu’au 9 mars
Lieder pour pleurer et rire
Samuel Achache nous régale avec ce spectacle musical sur des Lieder de Schumann.

Trois ans après sa création au Théâtre des Bouffes du Nord, le spectacle de Samuel Achache y revient avec un changement de distribution et un succès toujours croissant. Sans Tambour, toujours, mais avec les trompettes de la renommée qui accompagnent les créations uniques en leur genre de ce metteur en scène qui nous régale de spectacles lyrico-drolatiques depuis son premier, Le Crocodile trompeur/Didon et Énée (2013).
Une sélection de lieder de Robert Schumann servent de fil musical, avec sur scène une dizaine de comédiens-musiciens-chanteurs (certains étant tout cela à la fois, d’autres pas, certains un peu clowns, d’autres acrobates). Mais le fil musical très romantique, intime, ténu et élastique, fait que la pièce ressemble à tout sauf à un concert classique, a fortiori à un opéra. D’ailleurs, la présence d’un accordéoniste à côté du violoncelliste, du clarinettiste et du saxophoniste marque bien la sortie du cadre conventionnel.
Foutraque et maîtrisé
Si l’on pouvait résumer le sujet de la pièce, ce serait la destruction méthodique et physique d’un amour et de la maisonnette qui l’abrite sommairement figurée sur scène. Et la tentative de renaissance qui suit cet effondrement. Avec un enchaînement de saynètes qui ont l’air foutraques, mais qui sont en réalité très maîtrisées dans la mise en scène, ponctuées de gags visuels et/ou sonores qui se succèdent à bon rythme en désamorçant toute prétention au sérieux.
Si bien que le plateau des Bouffes du Nord, qui s’y prête à merveille, ressemble très vite à un champ de ruines qui sont dégagées pour faire place à la séquence suivante et ainsi de suite. Constamment surprenant, le spectacle, entre Jacques Tati et Groucho Marx, fait surgir la musique des décombres. Avec, entre autres perles, un piano (factice, Dieu merci) tombé du ciel et transformé en robe à panier par le chanteur qui se trouvait pile en dessous. Ou la soprano dont le costume fond sous la (vraie) douche à mesure qu’elle chante son lamento sur la mezzanine.
Certes cela commence et se termine avec des lieder de Schumann, magnifiquement interprétés par la soprano Agathe Peyrat. Mais loin d’illustrer le propos, le chant devient collectif et vit sa vie propre, débute et s’arrête de manière totalement imprévisible (pour nous du moins). D’ailleurs, certaines parties sont purement instrumentales accompagnant la destruction du couple et la véhémence des dialogues parlés-chantés, évoquant plutôt le Wozzeck d’Alban Berg qu’un lied de Schumann.
Couple pathologique
Le spectacle s’ouvre donc en fanfare sur les déchirements d’un couple pathologique, dans une cuisine. Lui est un grand costaud, joué par le formidable Laurent Ménoret, obnubilé par les choses matérielles, le siphon de l’évier qui se bouche et la prochaine voiture. Elle, la fluette Sarah Le Picard, voudrait qu’on lui parle d’amour. Sur ces bases, il est très vite clair que le couple et la maisonnette qui l’abrite ne peuvent que voler en éclats. Une fois la séparation acquise, lui, inconsolable, se débat avec son cœur, un « vrai » cœur en forme d’éponge toute rouge qui lui échappe. De son côté, elle se reconstruit en Yseult dans l’évocation de la légende celtique exaltée par Wagner. Tableau qui donne lieu à quelques gags à base d’eau et de philtre magique.
Tristan, c’est Léo-Antonin Lutinier (un fidèle de Samuel Achache), présent sur scène de bout en bout, qui avec ses airs de Charlie Chaplin et sa belle voix de haute-contre donne une tonalité burlesque au spectacle. Il faut le voir et l’entendre se démener dans une clinique où on le conduit de force pour extraire de sa cervelle le mal d’amour dont il souffre comme une dent. Où l’on voit qu’il est aussi douloureux de se débarrasser de l’amour que de vivre avec lui !
Photo : Jean-Louis Fernandez
Samuel Achache : Sans tambour. Avec Samuel Achache, Myrtille Hetzel, Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert, Sébastien Innocenti, Sarah Le Picard, Léo-Antonin, Lutinier, Laurent Ménoret, Agathe Peyrat. Compositions de Robert Schumann et d’Antonin-Tri Hoang, Florent Hubert et Eve Risser. Mise en scène : Samuel Achache ; scénographie : Lisa Navarro ; costumes : Pauline Kieffer ; lumières César Godefroy ; collaboration à la dramaturgie : Sarah Le Picard, Lucile Rose. Direction musicale : Florent Hubert.
Jusqu’au 9 mars au Théâtre des Bouffes du Nord (www.bouffesdunord.com). Tournée : du 12 au 15 mars au Théâtre national de Bordeaux en Aquitaine.



