Sceaux, Les Gémeaux jusqu’au 21 mars 2010

Les Estivants de Maxime Gorki

Entre deux mondes

Les Estivants de Maxime Gorki

Journaliste, romancier et dramaturge, Maxime Gorki (1868-1936) fut un homme engagé et témoin de son temps. Opposant déclaré au régime autocratique du Tsar Nicolas II, ami de Lénine, son militantisme progressiste s’exprime notamment durant la période précédant la révolution russe de 1905, à travers ses écrits pour le théâtre. (Les Bas-fonds, Les Petits Bourgeois, Les Enfants du soleil, Les Barbares). Cette pièce, datée de cette même époque, réunit comme chaque été un cercle de petits bourgeois venus profiter de la douceur estivale dans leurs résidences secondaires. Parmi eux, Bassov, avocat et poète à ses heures, son épouse Varvara accompagnée de son frère Vlas, un ingénieur Souslov et sa femme Youlia, un médecin Doudakov et son épouse Olga, Maria Lvovna, également médecin, et sa fille Sonia, ou encore Rioumine singulier propriétaire aux penchants suicidaires et quelques autres.

Dans la torpeur des vacances, l’arrivée de l’écrivain Yakov Chalimov va bousculer la quiétude apparente de ce petit monde, contraint de faire tomber les masques dans les croisements de révélations, de confessions parfois hésitantes, d’accusations et de secrets difficilement avoués ou d’affrontements sociaux et politiques, éclairant les comportements d’un microcosme figé par son aveuglement. “Nous nous affairons beaucoup, nous cherchons une place au soleil … ”, constate avec lucidité un des protagonistes. En effet, d’abandons d’idéaux en illusions perdues leurs vies sont devenues vides et sans éclats. Mais leurs rêves d’amour et d’avenir meilleur se heurtent à leur irresponsabilité et au manque de perception des changements de société qui s’annoncent. Seules parmi ces êtres, les femmes semblent en mesure de devenir “l’avenir de l’homme” par leur détermination et leur énergie. A travers les portraits de ses personnages, Gorki procède ainsi à un constat implacable qui lui permet de sonder avec acuité les zones d’ombre et les contradictions portées par les hommes dans leur quête de bonheur individuel et collectif.

Un bel esprit de troupe

Cette nouvelle version, marque le grand retour d’Eric Lacascade depuis son départ du Centre Dramatique national de Caen fin 2006. Adaptant la traduction d’André Markowicz, il signe une création scénique brillante et de grande tenue. En premier lieu en ayant constitué une véritable troupe de quatorze comédiens, dont l’unité, la présence et la vitalité, placent le spectateur en empathie avec ces estivants. Parmi ceux-ci, autour de Lacascade lui-même dans le rôle de Chalimov, on peut particulièrement relever les interprétations de Millaray Lobos Garcia (Varvara) Christophe Grégoire (Bassov), Arnaud Chéron (Doudakov), Elisabetta Pogliani (Maria Lvovna) ou Noémie Rosenblatt (Sonia), mais tous sont à associer dans un même éloge. Ils évoluent avec aisance et fluidité dans la scénographie fonctionnelle et poétique d’Emmanuel Clolus qui détourne le réalisme des datchas au profit de cabines de bois gris d’une souriante facture théâtrale. Outre leurs volumes différents permettant de cadrer des actions, leur mobilité compose ou décompose les espaces de rencontres ou d’isolement et introduit la métaphore d’un monde en mouvement. S’appuyant sur ces deux composants, la mise en scène tonique et séduisante tient à distance une référence temporelle appuyée comme toute recherche d’ancrage dans le spectaculaire. Mais elle réussit avec maestria, inventivité et précision, à faire ressentir les interrogations soulevées par les personnages comme autant d’évidences, en apportant une résonance adaptée à notre temps.

Les Estivants de Maxime Gorki, traduction André Markowicz, adaptation et mise en scène Eric Lacascade, avec Grégoire Baujat, Jérôme Bidaux, Jean Boissery, Arnaud Chéron, Christophe Grégoire, Stéphane E. Jais, Eric Lacascade, Christelle Legroux, Daria Lippi, Millaray Lobos Garcia, Marco Manchisi, Elizabetta Pogliani, Noémie Rosenblatt, Laure Werckmann. Scénographie Emmanuel Clolus, lumières Philippe Berthomé, costumes Marguerite Bordat. Durée 2 h 40. Les Gémeaux/Sceaux jusqu’au 21 mars. Théâtre national d’Aquitaine – Bordeaux du 14 au 16 avril, Théâtre d’Evreux les 28 et 29 avril 2010.

Crédit photographique : Brigitte Enguérand

A propos de l'auteur
Jean Chollet
Jean Chollet

Jean Chollet, diplômé en études théâtrales, journaliste et critique dramatique, il a collaboré à de nombreuses publications françaises et étrangères. Directeur de publication de la revue Actualité de la Scénographie de 1983 à 2005, il est l’auteur de...

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