Le plus heureux des trois

Théâtre Mouffetard jusqu’au 28 juin

Le plus heureux des trois

Labiche, s’inscrivant dans la grande tradition française, excellait dans la comédie de caractère (Les deux timides, Le Voyage de M. Perrichon). Mais il est aussi l’inventeur d’un genre particulier de comédies, jusqu’alors inédit. De même que Musset a inventé la comédie-proverbe, Labiche crée la comédie-problème de morale, dont les meilleurs exemples sont assurément Doit-on le dire ? et Le plus heureux des trois. Sans se prendre au sérieux, cela va de soi, et en donnant toujours sa préférence aux solutions les plus immorales.

La question en cause ici est la suivante : du mari, de la femme ou de l’amant, lequel se trouve dans la meilleure situation, lequel est le plus heureux ? Le mari, c’est Marjavel ; son épouse, la très ardente Hermance ; et l’amant, Ernest. Marjavel s’est pris de passion pour Ernest (presque autant que sa femme). Il ne peut pas se passer de lui, veut le voir dès son réveil et joue aux cartes chaque soir avec lui. Ernest, quant à lui, est aux petits soins pour le mari de sa bien-aimée, ne lui refusant aucun service, du plus anodin au plus périlleux, devançant ses moindres souhaits. Le mari, on s’en doute, est comblé, entre une épouse aimante et un ami dévoué. Pour le couple adultère par contre, les angoisses et les alarmes ne manquent pas. D’autant que la bonne, Pétunia, sait peut-être tout, que Jobelin, l’oncle d’Ernest, qui était l’amant de la première femme de Marjavel, est sans cesse dans la maison, et que Marjavel vient de faire venir un couple de domestiques d’Alsace, Krampach et Lisbeth, cette dernière ayant eu Ernest pour amant avant son mariage. Tout cela ne serait rien si le mystérieux cocher du fiacre 21-14 n’avait décidé de se livrer à un odieux chantage. Mais au fait, qui au juste veut-il faire chanter ?

La pièce est sensée se dérouler dans trois lieux différents. Le metteur en scène, David Friszman, a cantonné l’action dans un salon chez Marvajel, ce qui n’a que peu d’incidence sur l’histoire. Il a conçu une mise en scène pleine d’invention, d’énergie, de vraie intelligence du texte. Il a parfaitement saisi le rythme de la pièce, ce mouvement perpétuel par lequel Labiche étourdit le spectateur. Il a surtout su s’entourer d’une distribution magnifique, qu’il convient de saluer. Salvatore Ingoglia est un Marvajel placide et tyrannique à la fois, tout à fait convaincant. Aurélie Bargème, qui prête à Hermance son charme et sa beauté, est remarquable de rouerie benoîte. La bonne, Pétunia, est jouée par une Emma Darmon tout à fait à son aise dans les différents registres de son rôle. Delphine Rivière, qui interprète à la fois Lisbeth, l’Alsacienne, et Berthe, nièce de Jobelin, est parfaite dans les deux rôles. Cédric Tuffier a su tirer tout le parti comique possible du personnage de Jobelin. Frédéric d’Elia, dans le rôle d’Ernest, amant sans cesse sur la brèche, tiraillé entre les risques qu’il court et les jouissances qu’il attend, ses craintes et ses espoirs, est admirable. Dans cette distribution de grande qualité, on peut décerner une mention toute particulière à Arnaud Maudeux, qui joue Krampach avec un brio tout à fait étonnant. Il a la tâche difficile d’interpréter un personnage à la fois naïf et retors, lourdaud et cupide. Or il est toujours juste, toujours dans le ton, toujours dans le bon rythme. Il fait preuve d’une sûreté de jeu étonnante et semble guidé par un instinct infaillible. Un comédien à suivre, assurément.

Il faut aller au Théâtre Mouffetard découvrir ou revoir, dans une mise en scène pleine de trouvailles extravagantes et justes, cette comédie admirable. Dans ce vaudeville, créé au Théâtre du Palais-Royal le 11 janvier 1870, c’est la « fête impériale » qui jette ses derniers feux sur un Paris grisé et repus. Le 1er septembre de la même année, la débâcle de Sedan allait bientôt ramener tout ce petit monde à la dure réalité des choses.

D’Eugène Labiche. Mise en scène de David Friszman. Costumes, décors et lumières de Mattéo Porcus. Avec Aurélie Bargème (Hermance), Emma Darmon (Pétunia), Frédéric d’Elia (Ernest), Salvatore Ingoglia (Marjavel), Arnaud Maudeux (Krampach), Delphine Rivière (Berthe et Lisbeth) et Cédric Tuffier (Jobelin). Au Théâtre Mouffetard jusqu’au 28 juin 2008.

crédit photo : Matteo Porcus

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Karim Haouadeg

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