Il y a piano et piano
Du piano-jouet au piano préparé, d’un Pleyel du XIXe siècle à un Steinway de concert, le piano a suivi les aspirations des compositeurs et l’évolution des salles de concert. Aux Bouffes du Nord, un festival témoigne de la réalité multiple de l’instrument.

À LA FAVEUR DE SIX RENDEZ-VOUS, les 16 et 17 décembre, organisés avec la Médiathèque musicale Mahler et la Fondation Royaumont, le Théâtre des Bouffes du Nord, à Paris, s’est entièrement donné au piano, instrument qui, à partir des recherches engagées par le facteur italien Bartolomeo Crisofori, au tournant des XVIIe et XVIIIe siècles, a fait les beaux jours de la littérature instrumentale romantique. Concerts-ateliers sur le piano-jouet et le piano préparé en compagnie de Claudia Chan, œuvres d’aujourd’hui signées Dusapin et Rihm jouées par Nicolas Hodges, les concerts du festival « Pianos, pianos » témoignent de la place occupée par le clavier dans l’histoire de la musique et de la facture instrumentale.
Le 16 décembre à 19h, sur le thème « Chopin et ses amis », Edoardo Torbianelli reconstituait un récital comme on les pratiquait à Paris vers 1840. Histoire d’entendre une superbe Valse op. 34 n° 2, riche de nostalgies et de couleurs miroitantes, ou une Polonaise op. 40 n° 1 (celle qu’on appelle communément « Militaire ») munie de toutes ses reprises, mais aussi des pages de contemporains de Chopin tels que Moscheles ou Kalkbrenner. Edoardo Torbianelli les aborde sur un Streicher viennois de 1847, d’un magnifique équilibre, toujours homogène, qui permet un jeu particulièrement nuancé, sans qu’une pédale intempestive vienne noyer l’articulation du propos.
Quelques mesures en guise de prélude
Le pianiste pousse le souci de connivence historique jusqu’à faire préluder chacune des pièces par quelques mesures improvisées de son cru : « On le faisait habituellement à l’époque, je n’ai pas voulu me priver de cette mise en condition. » Il n’hésite pas non plus à morceler certaines œuvres : la Sonate op. 39 de Weber, par exemple, dont on n’entend que deux mouvements, au début de chacune des parties du récital, ou la Sonate op. 70 du même, dont il extrait le seul Andante quasi Allegretto consolante. De Weber, on découvre aussi trois des Six pièces faciles op. 10 pour piano à quatre mains, jouées ici avec Luca Montebugnoli : la deuxième, notée Andantino con moto, est une petite merveille de mélancolie enjouée.
Un mouvement de sonate et des variations sur la Norma de Bellini donnent une idée de la manière de Kalkbrenner, mais on leur préférera les trois études extraites de l’op. 70 de Moscheles, qui n’ont rien de la beauté rayonnante de celles de Chopin mais distillent un sens de l’effusion qui n’est pas sans charme. Plus étrange est la musique d’Alkan dont la curieuse Marche funèbre, qui n’est autre que la cinquième étude de son op. 39. Une marche plus nocturne que funèbre, à la fois ironique et têtue, dans l’esprit du volet initial des Nachtstücke de Schumann. Le premier des Chants op. 65 est moins étonnant, mais la maîtrise sans froideur d’Edoardo Torbianelli nous donne envie de connaître mieux ce contemporain de Wagner surnommé le « Berlioz du piano » (ce qui ne veut pas dire grand’chose) et dont le sens du pittoresque n’était pas la seule qualité.
Illustration : Edoardo Torbianelli (dr).
Récital « Chopin et ses amis » dans le cadre du cycle « Pianos, pianos », par Edoardo Torbianelli. Œuvres de Weber, Kalkbrenner, Moscheles, Alkan et Chopin. Théâtre des Bouffes du Nord, 16 décembre, 19h. Le cycle se poursuit le 17 décembre à 19h30 et 20h30.