Paris Odéon jusqu’au 10 avril
Ciels de Wajdi Mouawad
Changement de registre
Avec Ciels, Wajdi Mouawad a voulu renverser le cours des choses élaboré précédemment dans les trois spectacles qui composent aujourd’hui la trilogie du Sang des promesses, bouleverser les idoles, contredire des paroles qu’il avait sacralisées, peut-être pour échapper à toute mise en équation réductrice et laisser grandes ouvertes les portes de l’imaginaire. Le fait est que Ciels est d’une tout autre facture. Le style a quitté le registre épique. Il est résolument moderne, empruntant aux séries télévisées américaines et le canevas et le rythme. Les parois du dispositif fermé, qui met le public au centre de l’action dans une position volontairement inconfortable, sont découpées en alvéoles qui rappellent des écrans de télévision ou des vignettes de bandes dessinées et dans lesquelles se déroulent les différents tableaux. De peinture aussi il est question, avec L’Annonciation du Tintoret dont il faut déchiffrer les mystères pour sauver l’art et le monde. Cinq espions coupés du monde extérieur avec lequel ils communiquent par vidéo conférence ou messages audios doivent déjouer une menace d’attentat terroriste qui se révélera d’un genre inédit. Wajdi Mouawad explore une voie d’expression nouvelle, renouvellement déjà entamé dans Seuls, mettant à égalité l’écriture, les images et le son. Ceux qui avaient aimé se laisser emporter par le souffle des grands espaces métaphoriques de Littoral ou Incendies seront certainement surpris par ce spectacle très différent. Pourtant, dans ce cadre à la fois conventionnel et codé à l’extrême, Wajdi Mouawad fait passer un message d’humanité qui ne peut laisser insensible, d’autant moins que le spectacle, qui offre des moments de grande intensité, est servi par des comédiens magnifiques au premier rang desquels on citera Georges Bigot et Stanislas Nordey. Ce dernier met en scène Les Justes d’Albert Camus, avec Wajdi Mouawad dans le rôle de Stepan le terroriste, établissant une belle résonance entre ces deux spectacles au centre desquels est posée la question de la légitimité du meurtre.
Ciels écrit et mis en scène par Wajdi Mouawad, avec John Arnold, Georges Bigot, Valérie Blanchon, Olivier Constant, Stanislas Nordey (remplacé par Emmanuel Schwartz les 18 et 19 mars), et en vidéo Gabriel Arcand, Victor Desjardins, et la voix de Bertrand Cantat
durée : 2h30
© Jean-Louis Fernandez