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Le Festival mondial du théâtre de Nancy – Une utopie théâtrale

Au cœur des révolutions théâtrales

Le Festival mondial du théâtre de Nancy – Une utopie théâtrale

Jean-Pierre Thibaudet, journaliste, critique amoureux du monde du spectacle vivant, raconte le Festival mondial du Théâtre de Nancy, cet événement hors norme inventé par Jack Lang en 1963. Le livre qu’il en tire, où souvenirs et recherches se mêlent et se succèdent s’étale sur 395 pages et pèse 1,3 kilos. Un bel objet où, sur papier vélin, les années se divisent en chapitres colorés qu’illustrent d’innombrables photos pour mémoire.

Un récit, précise le sous-titre, mais le mot ne correspond pas tout à fait à la chose. Il s’agit plutôt d’une enquête où le journaliste se serait mué en détective pour explorer tous les coins, recoins, faces visibles et faces cachées de cette folle aventure qui allait révéler la fleur de l’avant-garde de l’art dramatique international et transformer Nancy, élégante cité provinciale, en centre provocateur du monde théâtral. Sans casquette et sans pipe, Thibaudat s’est amusé à jouer au Sherlock Holmes de l’épopée du festival. Nageant pour ainsi dire à contre-courant, il en remonte le temps jusqu’à ses sources. Avant d’en arriver aux épisodes qu’il a vécues lui-même en tant qu’envoyé spécial du quotidien Libération, il a fouillé le passé de la manifestation, en lectures, en rencontres, en interviews. Et c’est un monde pas toujours politiquement ou civilement correct, mais artistiquement bouillonnant qu’il dévoile à la manière d’un agenda, année par année, de 1963, printemps de sa naissance à celui, vingt ans plus tard, de son dernier souffle.

Il remonte même plus haut, à ces années cinquante où naquirent toutes sortes de festivals de théâtre universitaire, des troupes composées d’étudiants qui se réunissaient à Parme, Zagreb, à Erlangen, à Lille, à Sarrebruck, ou à Bruxelles au cœur de son exposition universelle de 1958. C’est le modèle de ces festivals non professionnels mais exubérant d’inventivité qui alimenta l’imagination du nancéen Jack Lang, étudiant en droit de 23 ans. Ainsi naquit en 1963 le TUN (Théâtre universitaire de Nancy) et commença ce que Robert Wilson, l’un de ses futurs invités, baptisa « l’âge d’or du théâtre du monde ». Les 12 spectacles en provenance de 8 pays de la première édition atteignirent jusqu’à la quarantaine issus d’une trentaine de nations. Jack Lang, très vite secondé par sa jeune épouse Monique, voulait faire découvrir les « théâtres en friche », donner hors frontières la parole « aux marginaux, aux incisifs, aux originaux » de tous bords. Si l’échec d’un Marivaux présenté par Patrice Chéreau peut à posteriori faire sourire, la liste des novateurs révélés à Nancy donne encore le tournis : Claus Peymann, Paolo Grassi, Bob Wilson et son inoubliable Deafman Glance (Le Regard du Sourd), le Bread and Puppet Theatre, le Teatro Campesino, le Théâtre de la Commune de Lisbonne, La Cuadra de Séville, Tadeusz Kantor, Pina Bausch, Jerzy Grotowski, Kazuo Ono, Terayama, Augusto Boal...

Appelé à Paris pour se lancer dans la vie politique, après y avoir brièvement dirigé le Théâtre National de Chaillot, Jack Lang céda les rênes du son festival nancéen à son dynamique adjoint Lew Bogdan. Françoise Kourilsky puis Mira Trailovitch succédèrent à ce dernier avant d’y apposer le mot en trois lettres, la fin inévitable de toute histoire qui se termine.
Thibaudat détaille chaque épisode dans une écriture claire et un organigramme parfait, il cite les intervenants et de nombreux extraits de presse, surtout ceux des quotidiens Le Figaro et Le Monde et de l’hebdo Nouvel Obs. Bizarrement ceux de l’Express manquent au répertoire, le magazine créé par Jean-Jacques Servan-Schreiber, à l’époque député de Meurthe et Moselle, se trouvait pourtant en première ligne de l’événement. C’est sans doute l’unique absence de ce répertoire fouillé avec appétit par ce gourmet gourmand du théâtre.

Le Festival mondial du théâtre de Nancy – Une utopie théâtrale par J.P. Thibaudat
Les Solitaires Intempestifs – 23€

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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