L’Enlèvement au sérail au Théâtre des Champs-Élysées

Enlèvement et ravissement

Le singspiel de Mozart brille et chatoie sous la baguette de Julien Chauvin.

Enlèvement et ravissement

LE RÔLE DE LA REINE DE LA NUIT, dans La Flûte enchantée, paraît être l’un des plus vertigineux du répertoire. Celui de Konstanze, dans L’Enlèvement au sérail (Die Entführung aus dem Serail), moins servi par le cinéma et la publicité, est lui aussi d’une difficulté extrême. Après un air assez virtuose au premier acte, Konstanze enchaîne, au deuxième, deux airs séparés par quelques brèves phrases de dialogue : un air élégiaque puis le célèbre « Martern aller Arten » (« Des supplices de toutes natures »), longue et violente page ornée de vocalises meurtrières, lancée comme un défi par le personnage au pacha Selim qui la convoite. Au Théâtre des Champs-Élysées, c’est Florie Valiquette qui est Konstanze et brille de tous ses feux dans ce rôle qui, de loin, est le plus spectaculaire de ce juvénile singspiel (il a été créé au Burgtheater de Vienne en 1782).

Singspiel ? Oui, L’Enlèvement, sur le modèle de l’opéra-comique français, fait alterner les airs et les ensembles avec les dialogues, bien sûr en allemand. Ce 11 décembre, comme il arrive souvent lors des versions de concert, on a préféré confier à un comédien le soin de faire le lien entre les différents épisodes (avec, au passage, une habile et judicieuse harangue aux spectateurs qui ne peuvent pas s’empêcher de tousser bruyamment). Éric Ruf, ainsi, non seulement tient le rôle (parlé) du Pacha Selim, mais raconte l’histoire, sur la base d’un texte rédigé par Ivan Alexandre, et devient donc le narrateur. On évite que soient plus ou moins bien dits les dialogues par des chanteurs qui n’ont pas eu le temps de les répéter, mais on n’est plus tout à fait au théâtre.

Fureur comique

Il reste bien sûr la musique, et la distribution réunie est fort séduisante. Florina Ilie est une Blonde au timbre très rond, très fruité, qu’on imagine tout à fait dans le rôle d’Ännchen du Freischütz ; lui répond, dans le rôle de Pedrillo, celui, tout aussi charmeur, de Sahy Ratia, qu’on a connu moins convaincant et moins à l’aise. On aimerait presque l’entendre chanter celui de Belmonte, que Levy Sekgapane aborde avec application et une relative fadeur, lesquelles ne rendent pas justice au duo que forme le ténor avec l’étincelante Konstanze de la soirée. Sulkan Jaiani est en revanche un Osmin presque idéal de fureur comique et de noirceur. Il n’est pas si fréquent d’entendre une basse qui, dans les catacombes de sa voix, ne détimbre pas, et on applaudit Sulkan Jaiani de donner vie sans effort à ce gardien du sérail qui se montre tout sauf magnanime. Selim, lui, n’a rien à faire de la vengeance : il pardonne, et c’est toute la leçon d’un ouvrage qui célèbre les Lumières dans ce qu’elles ont, à l’Orient comme à l’Occident, de plus noble.

Le Chœur Fiat Cantus fait preuve d’un bel entrain dans ses deux brèves interventions. Quant à l’orchestre, c’est le Concert de la Loge, que Julien Chauvin dirige de son pupitre de premier violon, comme on le faisait autrefois avant que les formations orchestrales deviennent pléthoriques. Debout devant ses troupes, il indique d’un geste de l’archet les entrées des uns et des autres, et mène la danse sur des tempos plutôt allègres. On aimerait parfois une assise orchestrale plus ferme (il n’y a qu’une contrebasse), mais la vitalité de l’ensemble est une vertu tout aussi appréciable.

Illustration : un sérail (crédit Shutterstock/dr)

Mozart : L’Enlèvement au sérail. Avec Florie Valiquette (Konstanze), Levy Sekgapane (Belmonte), Florina Ilie (Blondchen), Sahy Ratia (Pedrillo), Sulkan Jaiani (Osmin), Éric Ruf (Selim, rôle parlé). Chœur Fiat Cantus (préparé par Thomas Tacquet), Le Concert de la Loge, dir. Julien Chauvin. Théâtre des Champs-Élysées, 11 décembre 2023.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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