César Franck selon Lionel Avot
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- 7 janvier 2011
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Disciple de Jean Boyer et d’Aude Heurtematte, l’organiste Lionel Avot vient d’enregistrer son premier disque, qu’il a choisi de consacrer à César Franck. Il évoque ici la manière dont il s’est épris d’un instrument qu’il considérait avec défiance lorsqu’il était enfant.
- Lionel Avot, il est rare qu’un jeune garçon s’enthousiasme pour un instrument tel que l’orgue.
– Justement, les choses ne se sont pas faites d’un coup, et l’orgue ne s’est pas imposé de lui-même. Encouragé par ma mère, pianiste amateur, j’ai d’abord étudié, dès l’âge de cinq ans, le piano. Les études au lycée venant, j’ai peu à peu abandonné l’instrument mais, quelques années plus tard, je suis tombé un beau jour sur le Requiem de Duruflé. Ce fut le coup de foudre. J’ai bien sûr voulu aller plus loin et j’ai ensuite découvert les pièces pour orgue du même Duruflé, enregistrées à l’orgue de la cathédrale de Chartres par Philippe Lefebvre. Jusque là, j’étais resté insensible à cet instrument que je trouvais peu expressif. Et je me suis mis à écouter et réécouter sans fin ce disque, notamment cette pièce étonnante intitulée Prélude et fugue sur le nom d’Alain composée en hommage à l’organiste et compositeur Jehan Alain. C’est l’époque où j’effectuais mes études commerciales à Lille, ville dont Berlioz dit qu’elle est la plus musicale de France, et j’ai alors décidé de reprendre la musique pendant mon temps libre. A l’âge de vingt-trois ans, je me suis donc inscrit au Conservatoire de Lille, dans la classe d’orgue, et j’ai eu l’immense privilège d’avoir pour professeur Jean Boyer ; ce fut mon second coup de foudre. Jean Boyer dispensait un enseignement musical, humain, philosophique, spirituel. Un enseignement sur la vie. J’ai également étudié, toujours à Lille, avec Aude Heurtematte qui m’a elle aussi beaucoup appris.
- Comment fait-on pour devenir organiste ? Il s’agit d’un métier qui paraît inaccessible. Il faut trouver un instrument, monter là-haut à la tribune
– En effet, il faut être très passionné, ne serait-ce que pour parvenir à trouver un instrument sur lequel travailler, sans parler du froid glacial en hiver… Il n’est pas facile de vivre aujourd’hui du métier d’organiste, notamment en France, et pourtant d’excellents organistes sortent chaque année diplômés des conservatoires. Après mes études commerciales, toujours parallèlement à mes études musicales, j’ai voulu diversifier mes centres d’intérêt. J’ai donc suivi les cours du DESS de gestion des entreprises culturelles à l’Université de Paris-Dauphine, et j’ai eu la chance, après mon stage à Radio France, d’être engagé par cette société, où je suis aujourd’hui chargé de mission à la Direction de la musique. J’enseigne également à l’école d’orgue Jehan Alain d’Épinay-sur-Orge près de Paris tout en étant organiste suppléant de l’orgue Mutin Cavaillé-Coll de l’Église de l’Étoile, où j’accompagne des offices.
- Et les concours
– J’ai notamment été récompensé au Concours César Franck de Haarlem
aux Pays-Bas. Malgré leurs limites et leurs défauts, les concours permettent toujours de progresser et parfois de faire de belles rencontres. Pour ma part, j’ai eu le plaisir de croiser des organistes étrangers (japonais, coréens, allemands…) qui sont devenus mes amis.
- Quand avez-vous donné votre premier concert ?
C’était à Paris, en 1993, dans le cadre de la série - qui existe toujours - des concerts du dimanche matin aux Billettes. Aujourd’hui, je donne une dizaine de concerts par an. J’ai eu le bonheur de jouer pour la première fois cet été au Japon. J’ai également eu la chance de jouer à Paris sur des instruments comme ceux de Notre-Dame ou encore de Saint-Gervais. Des orgues qui inspirent ! J’aime beaucoup faire entendre des partitions de mes contemporains, tels que Jacques Pichard et Yves Lafargue, dont j’ai créé le Choral à l’église Saint-Antoine des Quinze-Vingts à Paris.
- Et vous venez d’enregistrer votre premier disque
– Oui, le point de départ de cet enregistrement s’inscrit dans la filiation qui est la mienne puisque Vincent Genvrin, le directeur artistique du label Hortus, pour lequel j’ai enregistré, a été lui-même élève de Jean Boyer. Hortus produit régulièrement des disques d’orgue romantique, or, singulièrement, César Franck était absent du catalogue à l’exception de quelques pièces isolées. J’ai donc proposé un premier disque entièrement consacré à ce musicien. Franck est un compositeur que je mûris depuis de nombreuses années et que j’avais beaucoup travaillé avec Jean Boyer, à qui d’ailleurs le disque est dédié. Ce qui constitue d’une certaine manière un paradoxe, car Jean Boyer était assez méfiant concernant les enregistrements ; il disait volontiers : « Le sourire que l’on fait au concert demeure un sourire, alors qu’au disque, il court le risque de devenir une grimace au fil des écoutes ».
- Le choix de l’instrument n’a pas été fait au hasard, j’imagine-
Franck exige un type d’instrument très particulier pour rendre justice à sa musique. Beaucoup d’organistes ont déjà enregistré Franck sur des Cavaillé-Coll ; c’est un excellent choix bien entendu, et nous en avons de nombreux très intéressants dans notre patrimoine. Mais, pour ma part, j’ai choisi un orgue construit en 1888 par Eugène Puget en l’église Notre-Dame de La Dalbade, à Toulouse. Longtemps en mauvais état, cet instrument a donc été très peu enregistré. Il a été restauré admirablement en 2009 par Gérard Bancells et Denis Lacorre. D’une très grande poésie, l’orgue ainsi restauré permet à la fois un grand raffinement dans les jeux de détails, notamment le Basson-Hautbois et la Trompette harmonique du clavier de Récit, mais aussi par exemple la Voix humaine, importante dans les registrations de certains passages à l’atmosphère si particulière des partitions de Franck, sans oublier des jeux de fonds en nombre important procurant un savoureux moelleux. Matthieu de Miguel, jeune co-titulaire de cet orgue, m’a très généreusement fait profiter de son expérience pour le choix des registrations. L’occasion était bonne de faire découvrir cet instrument au disque depuis sa restauration, je crois avoir bien fait de la saisir.
- Au fait, quelle joie particulière vous procure l’interprétation de Franck ?
– En jouant cette musique, j’ai parfois l’impression de lire un livre très sérieux près d’une fenêtre. En levant les yeux, une belle scène s’offre à travers cette fenêtre, je la regarde mais je continue d’avoir le livre en mémoire.
A écouter : César Franck, Pièces pour orgue (Fantaisie en la majeur, Cantabile, Pièce héroïque, Prélude, fugue, variation, Premier choral en mi majeur). Lionel Avot à l’orgue Puget de l’église N.-D. de La Dalbade à Toulouse. 1 CD Hortus 083 ; en vente chez les disquaires à partir du 9 février 2011 et dès à présent par correspondance en s’adressant à Hortus (courriel : editionshortus@wanadoo.fr).
Historique complet de l’orgue de Notre-Dame de La Dalbade sur le site du Festival international Toulouse les Orgues (www.toulouse-les-orgues.org).
Prochains concerts à Paris de Lionel Avot :
– Vendredi 21 janvier 2011 à 20h45, église Saint-Roch : Requiem de Fauré avec le Chœur Régional Vittoria d’Ile-de-France sous la direction de Michel Piquemal.
– Dimanche 23 janvier 2011 à 11h30, église Saint-Sulpice : audition dans le cadre de la Messe solennelle de 10h30.
– Dimanche 24 avril 2011 à 15h30, église Saint-Germain-des-Prés.
Crédit : Serge Noël-Ranaivo.