Théâtre de l’œuvre, Paris
A la porte de Vincent Delecroix
Michel Aumont magnifique
Michel Aumont fait parti de ces très rares comédiens dont chaque apparition est en soi un événement. On croit les connaître, et ils nous surprennent, nous époustouflent par leur composition, leur sens de la scène, cette façon qui est l’apanage des très grands d’être totalement et évidemment le personnage.
A la porte, le vieil homme est à la porte de chez lui, une maladresse de son jeune visiteur qui a claqué machinalement la porte. Mais est-ce la vraie raison ou celle qu’il voudrait croire, ne serait-ce qu’un oubli de clefs et qui n’a pas connu une telle mésaventure !
La situation semble l’amuser tout compte fait ! Que faire, le voisin obligeant n’est pas là, téléphoner à sa petite sœur, mais c’est dimanche, il n’est pas question de demander quoi que ce soit au concierge, il est trop vilain ! Mais qui est-il cet exilé de son domicile et qui n’ose même pas appeler un serrurier pour le sortir de ce mauvais pas, enfin pour réintégrer son intérieur, pour reprendre ses esprits, sa pensée, reprendre le cours du temps. Ô temps suspend ton vol impitoyable qui déforme, érode les cerveaux les mieux fait, les intelligences les plus subtiles. Le vieil homme est un professeur de philosophie mondialement reconnu, mais sur le pallier il est en fracture avec son petit monde défini, il n’est pas prêt pour affronter le monde du dehors, sa veste est trop légère pour la saison, ses poches sont vide de l’indispensable viatique ni argent, ni téléphone. Il sort. Il regarde le monde extérieur avec aigreur. Tout en soliloquant ses pas le mène dans une brasserie où il avait ses habitudes. En sortant de chez lui a-t-il traversé le miroir, un espace si différent qu’il puisse déjeuner avec son père décédé depuis cinquante ans. Pourquoi le reflet sans pitié d’une vitrine lui renvoie sa silhouette ratatinée et nue. Est-ce une déambulation dans les circonvolutions d’un cerveau usé ? Cette promenade dominicale est-elle vraie ? Ou est-ce une promenade avec la mort ?
Un Roman indispensable
Marcel Bluwal rencontre ce roman de Vincent Delecroix car il s’agit bien d’une rencontre et non pas d’une simple lecture. Il est frappé par la jeunesse de l’auteur qui n’a pas quarante ans, par le sujet et surtout par la beauté de l’écriture. Michel Aumont s’impose immédiatement pour être le professeur. Marcel Bluwal s’efface derrière le texte, servant d’accoucheur à ce monologue puissant, sa mise en scène est simple, utilisant des panneaux coulissants, des jeux de lumière pour mettre en forme les ambiances qui accompagnent, cernant les étapes du cheminement labyrinthique de cette dernière promenade avec la mort. A la porte est la rencontre très rare et remarquable entre un texte et un comédien, elle fait partie de ces fusions subliminales, ne répondant qu’à une seule loi chimique qui n’a pas encore trouvé sa formule celle de l’époustouflant talent de Michel Aumont.
P.S. Michel Aumont est nominé aux Molières dans la catégorie "Seul en scène".
A LA PORTE de Vincent Delecroix mise en scène de Marcel Bluwal, avec Michel Aumont - Théâtre de l’œuvre, 55 RUE DE CLICHY 75 009 PARIS
Crédit photo : Eric Devert