Votre maman de Jean-Claude Grumberg

La mémoire, un bien précieux

Votre maman de Jean-Claude Grumberg

Jean-Claude Grumberg n’a pas son pareil pour donner une profondeur à des situations de la vie quotidienne. Quoi de plus délicat que de parler de la vieillesse et de son naufrage, de la maladie d’Alzheimer, des conditions de vie dans les maisons de retraite sans tomber dans le lieu commun ? Il peint avec humour et tendresse le tragique d’une situation dont il a repéré toutes les facettes à travers trois personnages, le directeur de la maison de retraite, la mère et le fils qui vient quotidiennement lui rendre visite ; il est invariablement accueilli par le directeur, visiblement dépassé par les événements, qui l’interpelle : « votre maman » a encore fait ci ou ça. Elle ne veut pas rendre le fauteuil roulant sur lequel elle est assise à son propriétaire, elle tape sur ses voisines à coup de parapluie. Elle reconnaît son fils de manière aléatoire, ne veut pas aller dans le jardin car cela ne sert à rien, etc. La perte de mémoire est une souffrance pour elle mais aussi pour ce fils dévoué et affectueux qui fait tous les efforts du monde pour l’entourer et lui rendre la vie la moins dure possible.
Mais en vérité Grumberg s’appuie sur un sujet grave pour parler de plus grave encore. La perte de mémoire c’est plus largement la perte de la mémoire collective qui ces temps-ci nous menace. Les malades d’Alzheimer garde les souvenirs anciens intacts. La vieille dame disparaît, elle a fugué à la recherche de sa propre mère qu’enfant, elle a vu mourir sur la route qui menait au camp. En épilogue, le fils s’adresse au public : "Et quand la dernière survivante aura rejoint les siens dans le ciel de Pologne, nous laissant seuls avec pour héritage sa chancelante mémoire, qu’en ferons-nous, nous orphelins" ?

Un spectacle attachant dont la loufoquerie fait fonction de masque pudique, servi par la mise en scène de Charles Tordjman, sobre et parfaitement accordée au rythme du texte et par des comédiens de grand talent. Catherine Hiégel est parfaite dans le rôle de la vieille dame ; le regard fixe, totalement ailleurs, soudain elle lâche une remarque bien sentie, plus ou moins cohérente mais toujours péremptoire ou ironique. Le fils est interprété par Bruno Putzulu, très touchant ; il exprime avec justesse le désarroi et la solitude de son personnage. Et puis Philippe Fretun dans le rôle du directeur de la maison de retraite, perpétuellement agité, qui menace et gronde comme un maître d’école dépassé par le chahut des élèves. Cette nouvelle collaboration entre Jean-Claude Grumberg et Charles Tordjman confirme les affinités électives entre ces artistes qui ont l’art de traiter avec légèreté et grâce les sujets les plus graves.

Votre maman de Jean-Claude Grumberg, mise en scène Charles Tordjman. Avec Catherine Hiégel, Bruno Putzulu, Philippe Fretun, Paul Rias. Scénographie Vincent Tordjman ; lumières, Christian Pinaud ; images, Thomas Lanza ; costumes, Cidalia Da Costa ; musique, Vicnet. Au théâtre de l’Atelier à 19h.

© Christophe Vootz

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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