Unsuk Chin, une présence

La musique espiègle et luxueuse d’Unsuk Chin était cette année au cœur du festival Présences, organisé chaque mois de février par Radio France.

Unsuk Chin, une présence

IL Y A DIFFÉRENTES MANIÈRES de défendre et illustrer la musique de notre temps (ne disons plus « musique contemporaine », expression qui, bien qu’elle ait le même sens, agirait comme un repoussoir !) : soit la faire entendre au fil des concerts d’une saison, soit lui consacrer des manifestations particulières. Nous ne reviendrons pas sur les atouts et les travers de chacune des deux formules, d’autant que Radio France pratique l’une et l’autre : on trouve des œuvres nouvelles dans nombre de concerts de la saison, d’une part, et d’autre part Radio France consacre un festival annuel à la musique d’aujourd’hui en brossant le portrait musical d’un compositeur emblématique.

Unsuk Chin était cette année, après Tristan Murail en 2022 et en attendant Steve Reich l’an prochain, cette figure fêtée. Née à Séoul en 1961, Unsuk Chin a travaillé pendant trois ans avec György Ligeti à Hambourg et vit aujourd’hui à Berlin. Inutile de préciser que sa musique se souvient à la fois de l’Orient et des leçons d’ironie du compositeur du Grand Macabre.

Une ouverture de fête

Lors du concert d’ouverture, après la création de Skye Blue, jolie pièce sans conséquence de Chia-Ying Lin, on est saisi par la virtuosité de l’Ensemble intercontemporain (attaques, nuances, dynamiques) dans le Double Concerto pour piano et percussion d’Unsuk Chin. Une œuvre créée il y a exactement vingt ans, à Radio France déjà, et qui n’a rien perdu de sa verdeur, mêlée à un tranchant des arêtes et à une manière très particulière de faire circuler aussi bien l’énergie que les couleurs. Parler de double concerto est peut-être excessif, tant les prétendus solistes sont les complices de l’ensemble principal, mais on tient là une œuvre d’une grande sensualité, plus personnelle peut-être que Cantatrix Sopranica, qui clôt la soirée : cette page qu’on ne peut pas s’empêcher de qualifier de ludique (et qui relance la question traditionnelle : existe-t-il un comique en musique ?), s’appuie sur la Démonstration expérimentale d’une organisation tomatotopique chez la cantatrice de Georges Perec, et s’amuse à pasticher aussi bien la musique chinoise qu’un lamento baroque avec contre-ténor obligé.

Entre-temps, on a pu assister à la création de Chlorophyll Synthesis de Bastien David. Champion du métallophone (spectaculaire instrument circulaire comprenant 216 lames et 6 caisses de résonance en bois laqué, autour duquel s’activent six musiciens), Bastien David nous avait séduits il y a un an, lors d’un week-end consacré à Xenakis, avec ses Métamorphoses. Sa nouvelle pièce est plus ambitieuse mais sonne avec moins d’intensité. Peut-être l’impression de dispersion vient-il des forces musicales réunies : outre le métallophone, qui permet toutes les inventions sonores, l’Ensemble intercontemporain paraît un peu sous-employé. Les enfants de la Maîtrise de Radio France, qui jouent avec leurs bras comme des lucioles autant qu’elles chantent, y sont toutefois parfaites d’élégance et de rigueur dans leur manière de s’intégrer à cette œuvre touffue, qui voit même le chef d’orchestre (Tito Ceccherini) fermer sa partition avec lenteur cependant que tombe graduellement la lumière.

Monologue dramatique et théâtre de rue

Le jeudi*, soirée coréenne organisée sous la forme d’un double concert ; d’abord un récital d’orgue à l’auditorium, qui fait notamment découvrir, sous les doigts de Dong Ill-Shin, un prélude d’Akira Nishimura intitulé Vision in Flames, assez démonstratif, deux brèves études de Thomas Lacôte, mais surtout le « monologue dramatique » One-Act Play de Dahae Boo (née en 1988). En passant cette commande à une ancienne élève de Jean-Luc Hervé et Frédéric Durieux, Radio France a eu la bonne intuition. Dramatique en effet, cette page mouvementée fait d’abord entendre le bruit des touches de l’instrument comme une musique fantôme, sans que passe aucun air dans les tuyaux, puis nous entraîne dans une aventure saisissante avec, à la fin, un de ces crescendos qui montrent la puissance toujours colorée à laquelle peut atteindre l’instrument de Radio France.

La seconde partie de la soirée propose un ensemble d’œuvres interprétées par l’Ensemble Timf placé sous la direction de Soo-Yeoul Choi. Comme il arrive souvent quand une cohorte de partitions nouvelles se bousculent, nos oreilles oublient rapidement les pages les moins nécessaires. On saluera plutôt la très belle Étude n° 5 d’Isang Yun, magnifiquement interprétée par le flûtiste Yubeen Kim, et, du même compositeur, Teile dich Nacht, trois mélodies sur des poèmes de Nelly Sachs chantées avec feu par Sumi Hwang. Dans L’autre moitié de silence de Sun-Young Pahg, on aimerait que le daegum (flûte traditionnelle en bambou ici jouée par Hong Yoo) se dégage davantage d’un ensemble un peu bavard, mais malgré la direction placide de Soo-Yeoul Choi, que dément la fougue des membres de l’ensemble, Gougalôn (« Scènes de théâtre de rue ») d’Unsuk Chin est le sommet de cette soirée. On retrouve avec plaisir la fantaisie de celle qui fut l’élève de Ligeti, sa manière de télescoper les ambiances, de nous emmener chez Nino Rota (mais oui, on s’y croirait !) puis, à la fin, chez un Gershwin entièrement réinventé. La tentation est grande d’entendre là le Petrouchka d’Unsuk Chin, mais n’abusons pas des références et goûtons cette manière chatoyante de nous faire entendre une comédie instrumentale.

Trouver le concerto où on ne le chercherait pas

Il faut regretter qu’une grève ait empêché François-Xavier Roth de diriger l’Orchestre national de France lors d’un concert prévu le 11 février, au cours duquel devait avoir lieu la création de quatre œuvres commandées par Radio France ; on peut imaginer, en toute logique, que ces œuvres seront jouées au cours des mois qui suivent. De même, un problème technique a empêché la création, le lendemain, d’une œuvre pour orgue de Théo Mérigeau (alors que l’instrument avait somptueusement fonctionné le jeudi précédent**). Ce dixième et dernier concert du festival a toutefois permis de vivre la première mondiale d’I giardini di Vilnius, concerto pour violoncelle de Francesco Filidei. Déconcerto, faudrait-il dire, tant il n’y a rien de concertant dans cette page, ou si peu. Balisée de quelques puissants crescendos, la partition met à l’honneur un orchestre virevoltant, coloré, lumineux, mais tout le talent de Sonia Wieder-Atherton, à laquelle le compositeur a réservé des motifs obstinés et quelques moments lyriques, ne peut compenser l’austérité de la partie de violoncelle solo, comme exilée au profit de cet orchestre qui vit sa vie propre.

De part et d’autre de ce concerto, l’Orchestre philharmonique de Radio France, sous la direction d’Antony Hermus, interprétait deux œuvres d’Unsuk Chin faisant chacune appel à une récitante pratiquant moins le chant que la parole rythmée. Dans les deux cas, également, des références littéraires, un orchestre plein de brio et une alternance de complexité rythmique et d’humour presque enfantin, qui est l’une des marques de fabrique d’une compositrice qui refuse de renoncer au plaisir de faire entendre. On peut oublier Ulysse de Joyce à l’écoute du Silence des sirènes, mais l’univers de Lewis Carroll saute aux oreilles dans Puzzles and Games from Alice in Wonderland, onze miniatures inspirées de l’opéra Alice in Wonderland créé à Munich en 2007 (ah, cette manière de faire allusion mine de rien à Ma Mère l’Oye de Ravel !). Faustine de Monès dans le Silence et Alexandra Oomens dans cette réduction d’Alice, mettent autant de drôlerie que d’entrain à dialoguer avec les instruments, toujours traités de manière scintillante par Unsuk Chin, au point qu’on pourrait presque parler ici de concertos pour voix et orchestre.

Depuis quelques éditions, le festival Présences attire un public attentif et curieux dans une ambiance joyeuse ; il est loin le temps où un festival de musique contemporaine ne pouvait que ressembler à un pensum.

Illustration : Unsuk Chin (photo David Abramowitz/Radio France)

* Il nous a été impossible hélas d’assister à l’ensemble des concerts de cette édition du festival Présences.
** Trop de technique tue la technique.

Présences 2023 : « Unsuk Chin, un portrait » ; Radio France, du 7 au 12 février. Steve Reich sera le héros du festival 2024.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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