Une journée particulière de Scola et Maccari

Le jour où Hitler rendait visite à Mussolini

Une journée particulière de Scola et Maccari

Faut-il porter à la scène un film dont la perfection suffit à notre bonheur ? A priori non. Mais oui, si le sujet se met à nous parler sous un angle nouveau ou si des acteurs apportent un nouvel éclat aux rôles. Il y a déjà longtemps que le chef-d’œuvre d’Ettore Scola, où Sophia Loren et Marcello Mastroianni semblent inégalables, a fait l’objet d’une version théâtrale par Gigliola Fantoni. En France, plusieurs comédiens, comme Nicole Courcel et Jacques Weber, l’ont déjà jouée. Il y a deux ans, Christophe Lidon mettait en scène ce texte au Chêne Noir, à Avignon. Cette production, interprétée par Corinne Touzet et Jérôme Anger, arrive à Paris, au Petit-Montparnasse. C’est une grande joie de réentendre ou de découvrir cette histoire, telle que l’a traduite Huguette Hatem.
Un jour de 1938, à Rome, Benito Mussolini reçoit Adolf Hitler. Toute la ville est invitée à assister à la parade que s’offrent le « Duce » et le « Fuhrer ». Dans l’un des immeubles d’un quartier populaire, deux personnages sont restés seuls. Une mère de famille dont le mari et les enfants sont partis au défilé, et un quinquagénaire mystérieux. Elle est une épouse naïve, obéissante, écrasée, peu cultivée, qui partage les points de vue politiques de son fasciste de mari. Lui est un réprouvé : il était journaliste à la radio d’Etat et il a été mis à pied pour ses idées d’opposant à l’idéologie d’extrême-droite. En plus, il est homosexuel. C’est dire que ses jours sont comptés. La concierge, qui arrondit ses fins de mois en mouchardant pour le Parti, l’a à l’œil. Elle va d’ailleurs voir comment ces deux êtres qui n’ont en apparence rien de commun, sauf leur sentiment de solitude et d’abandon, vont se rapprocher, peut-être s’aimer. Il suffit d’un oiseau, un ménate, qui s’est envolé et qu’il faut aller récupérer…
Même habilement transposé, le texte appelle des moyens cinématographiques. Christophe Lidon, tout en cadrant habilement les acteurs dans leur espace pour leur permettre de s’adonner à un jeu libre mais serré, intègre des séquences filmées et des projections d’atmosphère. C’est parfois naïf, c’est parfois épatant. Huguette Hatem assure le personnage de la concierge, plus un personnage éphémère, d’une manière plaisante et inquiétante, avec une présence peu banale. Yannis Baraban s’acquitte avec autorité d’une prestation multiple – il est le mari et plusieurs fascistes. Dans les deux rôles principaux, Corinne Touzet et Jérôme Anger ont un jeu, une patte très sensibles. Corinne Touzet dégage bien la noblesse du personnage féminin, cette grandeur que peuvent avoir les personnages sans destin. Elle était sans doute plus spontanée à Avignon et gagnerait à retrouver l’évidence, la simplicité qu’elle avait à la création. A présent, elle souligne par instants la tristesse de la mère de famille mal-aimée. Ce n’est pas nécessaire puisqu’elle atteint sans ambages la vérité d’une âme où se combattent les sentiments du malheur et du bonheur.
Jérôme Anger, enfin, incarne l’opposant politique dont la sexualité n’est pas au goût d’un régime normatif et répressif. Même si l’on se souvient du merveilleux Marcello Mastroianni, Anger est bouleversant, tout en détails, en nuances, en secrets, en avancées, en reculades, en équilibre instable sur la corde frêle qui sépare l’espoir du désespoir. Les scènes les plus importantes de la pièce sont jouées par lui et par Corinne Touzet d’une façon tout à fait poignante. Pendant ces moments-là le public a le frisson – on le sent parcourir la salle. Et ce n’est pas épidermique : cette émotion si bien transmise porte avec elle le message de compréhension et d’amour que Scola lance contre tous les autoritarismes. Impossible de ne pas l’emporter avec soi en partant !

Une journée particulière d’Ettore Scola et Ruggero Maccari, adaptation de Gigliola Fantoni, texte français de Huguette Hatem, mise en scène de Christophe Lidon, vidéo de Léonard, lumières de Marie-Hélène Pinon, costumes de Chouchane Abello-Tcherpachian, son de Michel Winogradoff, avec Corinne Touzet, Jérôme Anger, Huguette Hatem, Yannis Baraban.

Petit-Montparnasse, tél. : 01 43 22 77 74. (Durée : 1h20).

Photo Toussaint.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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