Nancy – Opéra National de Lorraine jusqu’au 26 mars 2010

Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein et L’enfant et les sortilèges de Maurice Ravel

Le beau doublé de l’Opéra National de Lorraine

Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein et L'enfant et les sortilèges de Maurice Ravel

Un diptyque inattendu réunit à Nancy deux œuvres de deux compositeurs que rien, au départ, ne semblait pouvoir réunir mais qui, à l’arrivée, deviennent étrangement complémentaires. Par la grâce, l’imagination et l’intelligence de Benoît Bénichou, 32 ans, nouveau venu dans le gotha des talents de la mise en scène. Et aussi par l’inspiration mesurée d’un jeune chef américain du même âge, Jonathan Schiffman, nouveau directeur musical de l’Orchestre Lyrique de Région Avignon-Provence, encore peu connu en France : deux révélations d’un seul coup. Une belle récolte pour l’Opéra National de Lorraine.

Trouble in Tahiti créé en 1952 devait faire partie d’un triptyque sur l’ « american way of life » intitulé A Quiet Place. Les désenchantements du rêve américain en devaient être le pivot, avec, ici, les conventions mortifères de la vie de couple. Dinah et Sam sont les parfaits archétypes des couples mariés à la mi-temps du 20ème siècle dans les lendemains apparemment chantants de la deuxième guerre mondiale. C’est l’ère des clichés made in Hollywood, de la consommation à tout va, de la psychanalyse en tant que produit de marché. Sam saute sa secrétaire, ne pense qu’à sa carrière et au handball, Dinah s’ennuie entre deux séances sur le canapé de son psy et va au cinéma voir le dernier film à la mode « Trouble in Tahiti ». Ils ont un fils, un gamin que leur égoïsme narcissique néglige. Il est l’enfant en manque d’affection qui s’évade en ingurgitant les images crachées par la télé ou en rêvant les sortilèges inventés par Colette mis en musique par Ravel… Il est le pont qui relie le jazz chaloupé de blues de l’auteur de West Side Story au lyrisme précieux et sensuel du père d’un Boléro devenu planétaire.

Du swing américain au remue ménage lyrique à la française

Un décor unique (Amélie Kiritze Topor) sert de base aux deux œuvres, un décor qui bouge sur un échiquier, un sol quadrillé aux dominantes noires et blanches qui s’inversent : fonctionnelles pour Bernstein, oniriques pour Ravel. Blanches silhouettes de maisons dont les toits se transforment en éléments utilitaires comme le canapé où Dinah confie son mal être de femme en solitude. Des paysages sur panneaux coulissants défilent tels des écrans de télévision. Sam et Dinah s’affrontent, se fuient, se retrouvent, se résignent…Leurs duos éclatés sont commentés en échos par un trio qui les illustre en chansons et en danses aux rythmes du piaffement des claquettes.

Du swing américain au remue ménage lyrique à la française, la métamorphose visuelle agit par glissements, le quadrillage du sol se dérobe, s’anime, se tord, comme si les lignes, les formes se donnaient une vie propre, une liberté d’être, de se glisser dans la tête de l’enfant et devenir Tasse ou Théière, Chat ou Horloge, Arbre, Oiseau ou Grenouille. Les lumières de Thomas Costberg et les effets vidéo de Ishrann Silgidjian sont de toute beauté. Dinah/ Aurore Ugolin, magnifique mezzo guadeloupéenne, devient ainsi la maman qui gronde son gamin paresseux, le trio jazzy se partage les défroques fantaisistes de la Bergère, de l’Ecureuil, du Pâtre (Diana Axentii chaleureuse mezzo moldave), de la Théière, de la Rainette (par le ténor pointu François Piolino), de l’Horloge, du Chat (par Marc Mauillon, baryton ludique). Mélanie Boisvert, soprano aux aigus de feu (La Princesse, le Feu, le Rossignol) Natacha Kowalski (la Chauve-souris, la Chouette), Wenwei Zhang (Le Fauteuil, l’Arbre) et les adorables créatures du Chœur d’enfant du Conservatoire national de région sont venus en renfort pour donner vie aux élucubrations fantasmées de l’Enfant (Amaya Dominguez boudeuse comme un vrai môme). Seul Sam (la basse Jean Teitgen) n’a pas rejoint la ménagerie de bibelots ravéliens.

Un état de bonheur

Cette première réalisation de Benoît Bénichou qui fut chanteur avant de se tourner vers la mise en scène fut l’assistant de quelques professionnels rodés comme Jean-Louis Martinoty ou Mariame Clément, regorge d’idées et de grâce, comme ce duo des chats qu’il fait pour ainsi dire en 3D avec au centre les danseurs malicieusement félins Veronica Endo et Jérémie Duval, à cour et à jardins la Chatte chantante Diana Axentii et le Chat miauleur Marc Mauillon tandis que, suspendus dans un cadre en fond de scène, la mère et le père se font d’ardents câlins.

Le soir de la première l’Orchestre symphonique et lyrique de Nancy peinait un peu pour se glisser dans les cadences jazzy de la musique de Bernstein, cuivres et bois trop sonores, en décalage avec les chanteurs qui s’exprimaient à voix nues, là où la tradition des comédies musicales les sonorisent ou les gonflent à l’aide de micros. Ici ces micros sont factices et c’est dommage. Les ballets aussi manquaient de la précision mathématique des danseurs américains. Un peu d’entraînement aura sans doute raison de ces flottements. Car dès les premières mesures de Ravel, toute la magie musicale de l’orchestre se met en marche sous la direction enlevée et précise de Jonathan Schiffman achevant ainsi la soirée en état de bonheur.

Trouble in Tahiti de Leonard Bernstein et l’Enfant et les Sortilèges de Maurice Ravel., Orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction Jonathan Schiffman, chœur de l’Opéra national de Lorraine et chœur d’enfants du Conservatoire Régional de Nancy. Mise en scène Benoît Bénichou, décors Amélie Kiritze Topor, costumes Bruno Fatalot, chorégraphie Florence Bianco Scherb, lumières Thomas Costberg, vidéo Ishrann Silgidjian. Avec Aurore Ugolin, Jean Teitgen, Diana Axentii, François Piolino, Mauillon, Mélanie Boisvert, Natacha Kowalski, Wenwei Zhang, Jeanne Fourcade, Léna Samb, Margot Martin, Aïtana Artzer, Louis Fourcade et les danseurs Veronica Endo et Jérémie Duval.

Nancy - Opéra National de Lorraine, les 19, 23, 25, 26 mars à 20h, le 21 à 15h.

03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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