Du 28 au 31 mars et du 2 au 5 avril 2024 à L’Opéra royal du château de Versailles.

Triptyque Ballet Preljocaj - Annonciation, Torpeur, Noces.

Magnificence des corps au diapason de la création artistique.

Triptyque Ballet Preljocaj - Annonciation, Torpeur, Noces.

Pour ce Triptyque en Hommage aux Ballets russes, Angelin Preljocaj, chorégraphe inventif, articule deux célèbres créations de plus de trente ans - Annonciation et Noces - à une nouvelle - Torpeur. Belle force cohérente d’une écriture de la danse dont la fulgurance tient à l’acuité de la précision, le créateur renouant avec le geste jeté et déterminé d’une esthétique concise achevée.

Avec Annonciation, sur une musique de Vivaldi, apparaît le moment sacré de l’Immaculée Conception que Preljocaj interroge : dans un pas de deux entre l’Ange et la Vierge apparaît la puissance charnelle d’un épisode des mystères de la foi, questionnant encore le sens de l’union des corps et de l’esprit. Un duo emblématique entre Marie et l’ange Gabriel, avec la religion comme inspiratrice de créations puissantes, ainsi dans la peinture, mais non dans la danse. Une mise en majesté du corps bouleversé, si éloquent de la rencontre et de la naissance à venir.

« Dans l’iconographie traditionnelle, Marie est souvent représentée dans un jardin clos qui symbolise sa virginité. Une similitude se dégage entre son espace intérieur et son environnement », écrit Angelin Preljocaj, en 1995. Et même si la Vierge exprime une soumission sereine à l’événement, l’art et la conception esthétique soupçonnent chez elle le doute, l’inquiétude, la révolte. Soit une simultanéité étrange entre soumission et rejet - déflagration spatio-temporelle - qui n’en initie pas moins le procès de la naissance à venir - fécondation et maternité vivantes.

Le couple féminin ne cesse de fasciner par tant de beauté et de délicatesse, l’annonciatrice levant ses grandes ailes d’ange au-dessus du corps, la proie gisante et résistante, vibrante d’émotion.

Torpeur, la nouvelle création du chorégraphe, célèbre la force du printemps, qui vient après l’hiver, une phase transitoire qui s’échappe de la douleur - opposée et complémentaire, entre le froid précédent et la chaleur à venir- , « une invitation à une forme de lâcher-prise, à un état de corps plus rond. Et la torpeur s’installe entre la sidération, la prostration, la nonchalance, l’abattement et l’abandon" - renoncement, sentiment d’étrangeté et de suspension et plaisir aussi.

L’ effondrement de soi est accepté après les multiples sauts et élévations puis remises sur pied. Sensualité et grâce languissantes, les corps frôlés sont conscients les uns des autres. On voit une corolle délicate s’épanouir - pétales de rose réunis depuis le coeur de la fleur, ou bien une anémone de mer. Bras et jambes harmonieux levés puis retombant d’un côté l’autre, symétriques.

La pièce Noces, créée en 1989, davantage « touffue, énergique et sauvage », conserve sa férocité et son engagement physique, elle est d’autant plus évocatrice aujourd’hui que sont mises au grand jour les questions de parité, d’équité et de violences faites aux femmes. Jeune, Angelin Preljocaj « s’est inscrit en réaction à une culture patriarcale et à certains diktats familiaux oppressants. »
Un regard avant-gardiste ayant déjà trouvé son public via Stravinsky qui se voit ainsi re-dynamisé.

Les Noces sonnent dans le souvenir du chorégraphe, comme une étrange tragédie, selon la tradition des Balkans. Autour de la mariée, toujours absente des convivialités, le mystère s’épaissit, surtout quand les demoiselles d’honneur tournent autour de celle-ci comme une monnaie d’échange, qui va passer d’une famille à une autre, contre son gré et son goût. Puis, c’est l’apparition finale de la figure-poupée d’un drame voilé bien connu - son rapt consenti

Des poupées, des effigies de jeunes épouses voilées de blanc volent dans les airs, manipulées par des danseurs talentueux et physiques qui sont aussi des marionnettistes habiles, hissant à la verticale des bancs que les futurs auront occupés sans grand plaisir, surtout les mariées vivantes. Le rituel nuptial et funèbre de Noces, sur une musique de Stravinsky, déchaîne corps réels et corps artificiels chassant les peurs démoniaques, dépassant des mariages barbares traditionnels.

Un Triptyque fascinant de rigueur et éblouissant de vigueur, de netteté et de justesse, les danseurs signifient cet inépuisable « être au monde » qui fait se déployer l’être dans l’espace. Beau rendez- vous avec la puissance physique et existentielle des corps et de la création esthétique.

Annonciation, pièce pour deux danseuses, chorégraphie et scénographie Angelin Preljocaj, musique Stéphane Roy (Crystal Music), Antonio Vivaldi (Magnificat) Ensemble international de Lausanne/ Orchestre de chambre de Lausanne dirigé par Michel Corboz interprétation, musique enregistrée. Costumes Nathalie Sanson, lumières Jacques Châtelet. Avec les danseuses Verity Jacobsen et Mirea Delogu, Florette Jager et Clara Freschel.
Torpeur, pièce pour dix danseurs, chorégraphie Angelin Preljocaj, lumières Eric Soyer, musique 79D, costumes Elenora Peronetti. Avec les danseurs Mirea Delogu, Antoine Dubois, Simon Ripert, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat-Toquet, Baptiste Coissieu, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua.
Noces, pièce pour dix danseurs, chorégraphie Angelin Preljocaj, musique Igor Stravinsky (Noces), Les Percussions de Strasbourg et le Choeur contemporain d’Aix-en-Provence dirigé par Rolan Hayrabedian, interprétation musique enregistrée. Costumes Caroline Anteski, lumières Jacques Châtelet. Avec les danseurs Mirea Delogu, Antoine Dubois, Simon Ripert, Chloé Fagot, Clara Freschel, Verity Jacobsen, Florette Jager, Erwan Jean-Pouvreau, Florine Pegat-Toquet, Baptiste Coissieu, Valen Rivat-Fournier, Lin Yu-Hua.
Ballet Preljocaj - Annonciation - Torpeur - Noces, Hommage aux Ballets russes, du 28 au 31 mars et du 2 au 5 avril 2024, à L’Opéra Royal du Château de Versailles.

Crédit photo : Laurent Philippe.

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Véronique Hotte

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