Au Théâtre du Nord, 24-28 juin 2024

Tragédie, création collective

Eric Lacascade, David Bobée et leur collectif nous parlent de catastrophes

Tragédie, création collective

La carlingue éventrée, encore fumante, d’un bimoteur, occupe le plateau. Son imposante présence domine la représentation et donne immédiatement sens au propos de cette Tragédie hantée par l’omniprésence d’un monde marqué par la catastrophe.
« Cet avion est une métaphore. Il représente tout à la fois le Boeing fracassant les tours jumelles, le symbole du libéralisme d’un monde globalisé, l’avion explosé par Poutine pour liquider ses opposants, les guerres sur le sol européen, l’avion pollueur... » explique David Bobée (1)
Cette pièce, maturée depuis des mois, entre en résonance avec l’Histoire, ici et maintenant, qui se noue hors les murs, tout particulièrement dans notre pays. Elle tombe à pic, comme on dit. La pièce explore les angoisses d’une jeunesse confrontée aux catastrophes qui fracassent un monde reçu en héritage.
Quinze jeunes comédiens nous font face, rescapés du crash. Autour de cette épave- symbole, ils expriment ce qu’ils sont dans la vraie vie : élèves-comédiens qui vont s’affronter, avec angoisse, demain, à ce monde défait. Ces jeunes gens débattent, s’interpellent, soliloquent, confrontent la diversité de leur vision. « Je crois qu’on se retrouve dans un monde qui ne nous correspond pas » résume l’un d’entre eux. C’est là, la contradiction au travail au cœur de Tragédie. « Ces jeunes gens sont porteurs d’un monde nouveau, d’un futur désirable confrontés à la catastrophe dont ils héritent » décrypte David Bobée.
Nous voici donc explorateurs en terre méconnue, invités par ces acteurs, porte-paroles, dans leur diversité, d’une génération, à partager leur regard sur la cruauté du temps présent. « Nous sommes des entomologistes à la Tchekhov, témoins d’une époque » explique Eric Lacascade, le co-signataire de cette mise en scène.

Une place pour tous
Car, ils sont deux, côte à côte, à occuper, cette place de pilote où, à l’habitude, un seul préside à l’élaboration d’une création. « Nous sommes en train de réinstaller notre complémentarité » explique Eric Lacascade qui fait référence à une collaboration ancienne.
Cette manière de penser et de décider ensemble pour ceux, qui n’hésitent pas à se considérer comme père et fils en création, ne représente qu’une partie du dispositif. Car ce que revendiquent les deux artistes, c’est la nécessit d’un collectif de travail, de proposition et de décision. Il est expérimenté ici et revendiqué comme une nécessité des temps et brandi comme un étendard . « Nous souhaitons constituer un collectif, sans centre, comme les rhizomes des champignons » dit Eric Lacascade.
La méthode choisie pour l’écriture du texte vaut démonstration. Une grille utilisant toutes les formes d’expression et des textes du répertoire ont été proposés aux quatre élèves auteurs et autrices de la promotion. « Tragédie est écrite à huit mains. A part les Évangélistes, qui a fait ça ? » interroge David Bobée. Dans ce travail d’élaboration, possibilité est donnée aux élèves-comédiens de proposer des réécritures et d’improviser. Ce qui suscite des allers-retours constants entre les divers pôles de la création. « Cette méthode ne tient qu’à nous, elle est inventée avec tous les participants à la création de ce texte qui parle de la place de la jeunesse à notre époque » remarque Eric Lacascade.
L’autre élément clé de cette réussite est né de la présence sur le plateau de cette promotion, de ces quinze comédiens venus d’horizons, d’origine sociale, ethnique, régionale, culturelle différents. Un choix voulu et revendiqué comme une « marque de fabrique » par David Bobée et son équipe depuis leur arrivée au Théâtre du Nord . « Ils et elles représentent notre monde et créent une communauté créatrice sur le plateau, par leur diversité même » C’est donc à la présentation du désastre en cours et à la place de la jeunesse dans ce drame que nous convie les deux artistes et leur collectif pour cette désespérée et stimulante Tragédie.

(1) Cette manière de faire immédiatement sens par la scénographie est devenue une marque du travail du Théâtre du Nord. David Bobée et sa scénographe Léa Jézéquel ont d’ailleurs reçu le Prix du meilleur créateur d’élément scénique du Syndicat de la Critique pour Don Juan. David Bobée avait alors installé au centre de son dispositif l’immense statue d’un dieu à la renverse. (Voir Don Juan et le festin de pierre, webtheatre, 20 janvier 2023)

Durée estimée : 2h30

Tragédie, Textes écrits par les élèves auteur(e)s de l’École du Nord du Studio 7 Ilonah Fagotin, Jean Serge Sallh, Iris Laurent, Clément Duval, accompagné(e)s par Éva Doumbia

Avec les élèves comédien(e)s :
Yassim Aït Abdelmalek, Félix Back, Poline Baranova Kiejman, Jessim Belfar, Clément Bigot, Sam Chemoul, Jade Crespy, Fantine Gelu, Ambre Germain-Cartron, Loan Hermant, Mohamed Louridi, Ilana Micouin-Onnis, Marie Moly, Chloé Monteiro, Miya Péchillon, Charles Tuyizere. Scénographie : Dabid Bobée et Léa Jézéquel. Lumière : Stéphane Babi Aubert. Vidéo :Wojtek Doroszuk. Musique : Jean-Noël Françoise. Costumes : Mayuko Bobée et Angélique Legrand.

© Arnaud Bertereau

EN TOURNÉE
Le Théâtre du Nord, Lille – du 1er au 5 octobre 2024.
Le Phénix, Valenciennes – 16, 17 octobre 2024
Le Tandem, Douai – 16, 17 janvier 2025
Comédie de Béthune – 28 janvier 2025
La Faïencerie, Creil – 31 janvier 2025
MCA, Amiens – 25 mars 2025
La Villette, Paris – du 3 au 6 avril 2025

A propos de l'auteur
Michel Strulovici

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