The Prisoner de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne
Entre conte et haïku théâtral
Il y a du bonheur à retrouver Peter Brook dans ce théâtre, qu’il a fait vibrer durant plus de quarante ans, comme on se rend à un rendez-vous longtemps attendu avec en tête les émerveillements passés. Nous voilà de nouveau entre les murs pareillement décatis des Bouffes du Nord, qu’on ne voudrait autrement pour rien au monde, comme on ne supporterait pas qu’on dénature la maison de notre enfance. On retrouve les éléments d’une scénographie minimaliste, un plateau nu, de rares branches d’arbre sèches éparses sur le sol, une boîte d’allumettes, une gamelle en fer cabossée, deux couvertures, un banc, une pierre, l’idée d’un désert dans un pays imaginaire où comme souvent chez Brook, les acteurs sont pieds nus, au contact direct avec le sol. Dans son espace vide aux parois colorées décrépites, Brook, 93 ans, éternel voyageur, conte une nouvelle fable (un très ancien souvenir de Peter Brook lui-même), entre tragédie grecque et conte africain ou oriental, racontée par un voyageur occidental (Sean O’Callaghan, le soir où. nous y étions).
Mavuso (Hira Abeysekera) a tué son père qu’il a surpris partageant la couche conjugale avec sa sœur Nadia (Kalieaswari Srinivasan). Nadia avait pris la place de la mère décédée mais le frère, amoureux de sa sœur, ne l’a pas supporté. La justice de la société condamne le parricide à une peine de prison de vingt ans. Mais Ezechiel (Ery Nzaramba), l’oncle de Mavuso, obtient du juge que lui soit délégué le soin de la sanction. Après une première épreuve terrible à laquelle Mavuso survit grâce aux pouvoirs guérisseurs de sa sœur, Ezechiel conduit son neveu à la prison, ou plutôt devant la prison, après l’avoir emmené dans la forêt ancestrale, où son père aimait venir se ressourcer, afin qu’il s’imprègne de son souvenir car il ne la reverra probablement jamais. Avec infiniment de bienveillance et d’affection, Ezechiel condamne son neveu à rester face au bâtiment de la prison. Le jeune homme comprend le sens de sa peine et n’imagine pas de s’enfuir comme l’y incite Nadia et un villageois (Omar Silva), d’abord hostile — cette présence est perturbante pour les prisonniers, les villageois qui ne comprennent pas une situation qui dérange les normes —, puis amical. Mavuso sait que son crime est sa prison dont il sera libéré quand il aura accompli le chemin spirituel pour purger son âme et trouver la rédemption.
Comme souvent, Peter Brook a réuni des comédiens (dont certains ont déjà travaillé avec Peter Brook) du monde entier : Sri Lanka, Inde, Angleterre, Mexique, Irlande ; une manière de dire que si le dialogue entre des cultures différentes sur un plateau de théâtre, autour d’un thème aussi complexe est possible, c’est que cela doit être possible dans la société. Les acteurs, lumineux, ont tous une présence d’une grande intensité, un jeu très physique, des corps déliés, souples, entre animalité et pur esprit.
Peter Brook creuse toujours plus subtilement le sillon de l’épure dans une sorte de méditation philosophique et poétique qui tel un haïku théâtral est toujours plus économe de moyens pour délivrer plus de sens.
The Prisoner un spectacle de Peter Brook et Marie-Hélène Estienne, en anglais surtitré en français par Léa Myers. Lumière, Philippe Vialatte ; éléments scéniques, David Violi, assistante costume, Alice François. Avec Hira Abeysekera, Ery Nzaramba, Kalieaswari Srinivasan, Omar Silva, Sean O’Callaghan, Donald Sumpter. Aux Bouffes du Nord à 20h30 jusqu’au 24 mars 2018. Durée : 1h15.
Résa : 01 46 07 34 50.
www.bouffesdunord.com
Photo Simon Annand