Sur les ossements des morts d’après Olga Tokarczuk par Simon McBurney.

Quand la scène milite pour pallier l’urgence climatique et écologique...

Sur les ossements des morts d'après Olga Tokarczuk par Simon McBurney.

Le spectacle de Simon McBurney Sur les ossements des morts prend appui sur l’image du mycélium, le réseau de champignons sous le sol profond de la forêt, reliant les arbres par leurs racines, distribuant l’eau et les nutriments le long de sa toile : la métaphore d’une histoire sur l’interconnexion entre l’humanité et la nature, et les périls, quand la relation est fracturée.

Sur le vaste écran du lointain, apparaissent le cosmos, les planètes, les étoiles, les configurations célestes, en même temps que les photos maternelles convoquées du passé de la protagoniste.
Drive Your Plow Over the Bones of the Dead d’Olga Tokarczuk, publié en 2009 en Pologne, - et l’urgence climatique n’a fait que s’amplifier -, met en scène Janina - la dame n’aime pas son prénom -, sexagénaire lucide et ironique, formulant clairement ce que vivre aujourd’hui veut dire.

En colère contre l’état du monde, l’esprit étriqué de ses concitoyens, elle agit pour y remédier, donnant son temps à la poésie de William Blake qu’elle traduit avec un ami, à l’observation de la galaxie et à la vie des animaux. Elle fréquente la dame « cendrée » en villégiature l’été, qui écrit, rappel de l’autrice entourée de monstres, et avouant relever de cette espèce devenue commune.

Une perception intuitive des liens existentiels avec un environnement plus vaste que soi, une invitation de la littérature à revenir sur l’expérience humaine contemporaine. L’attitude collective envers la « nature » est à modifier. Pour l’autrice, l’être a un avantage sur les astres immuables : le temps favorable lui offre la possibilité de transformer la détresse et la souffrance en un monde plus heureux. Le spectacle de Simon McBurney rejoint le projet de se reconnecter à l’humanité.

Sur scène, le jeu collectif et ludique des acteurs se mêle à l’interactivité et aux nouvelles technologies. Cosmos visible sur le lointain et attaque sourde contre l’Etablishment patriarcal - les comportements mâles ancestraux - chasse, jeux sexuels et beuveries. Les comédiens dessinent des lignes chorales pertinentes ; vêtus de noir, les marionnettistes lèvent les bras pendant que l’éclairage souligne leurs mains nues brandies - belle reconnaissance des cerfs et de leurs bois.

Ils miment la force des groupes - hardes de biches ou équipes de policiers qui prospectent sur des meurtres constatés non loin de la maison de Janina. Ils sont hommes ou bêtes qui traînent leur corps-cadavre, quand ils sont mis à mort, ou ils sont des ensembles de civilisés qui élèvent leur chaise dans les airs, comme pour faire barrage à la monstruosité, à la férocité, qui les gagne.

Et les interprètes sont tout autant des êtres humains sensibles ou odieux, ou bien encore des animaux faibles ou puissants, jouant les biches meurtries, les sangliers, non loin du chant des grives et autres oiseaux, attentifs aux cris des bois et aux bruissements des bêtes dans la forêt.

La perspective scénique est élégante, et la scénographie élaborée, entre jeux de lumière et noir soudain, abattu sur le plateau. Or, l’acuité des images, le suspens entretenu de la fable policière, rien ne contrecarre la déclamation torrentielle et lassante de l’héroïne repliée sur elle-même.

La figure tutélaire sincère geint, se plaint, vocifère, s’en prend aux hommes en face d’elle, laissant peu de place au rire, et empêchant une respiration de la scène qui soit pleine. Il aurait fallu peut-être un discours plus « partagé » ou « ex-centré », pour donner souffle et foi au plateau.

Le message est reçu cinq sur cinq sur l’action à entreprendre face à l’urgence climatique et écologique.

Sur les ossements des morts (Drive Your Plow Over the Bones of the Dead/Conduisez votre charrue sur les os des morts), d’après le roman d’Olga Tokarczuk, mise en scène de Simon McBurney (Théâtre de Complicité). Scénographie et costumes Rae Smith, lumière Paule Constable, fils Christopher Shutt, vidéo Dick Straker, direction complémentaire Kirsty Housley, dramaturgie Sian Ejiwunmi-Le Berre, Laurence Cook, direction du mouvement Toby Sedgwick, compositions originales Richard Skelton, perruques Susanna Peretz, traduction du polonais Antonia Lloyd-Jones. Avec Thomas Arnold, Johannes Flaschberger, Tamzin Griffin, Amanda Hadingue, Kathryn Hunter, Kiren Kebaili-Dwyer, Weronika Maria, Tim McMullan, César Sarachu, Sophie Steer, Alexander Uzoka. Le rôle de Janina, interprétée par Kathryn Hunter, est désormais joué par Amanda Hadingue et les rôles d’ Amanda Hadingue par Tamzin Griffin. Du 7 au 18 juin 2023, du mardi au vendredi à 20h, le samedi 14h30 et 20h, le dimanche à 15h, relâche lundi, en anglais, surtitré en français. A L’Odéon Théâtre de l’Europe - Odéon 6è. www.theatre-odeon.eu Tél :+33 1 44 85 40 40.
Crédit photo : Marc Brenner.

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Véronique Hotte

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