Serge Valletti, roi d’Avignon

Deux de ses grandes pièces dans le off : Jésus de Marseille et Baie des Anges

Serge Valletti, roi d'Avignon

C’est anecdotique, mais écrivons-le quand même : Serge Valletti, auteur plus marseillais que le plus passionné des supporters de l’OM, habite Avignon. Avec le temps, l’enfant de la Canebière a choisi de rester dans le Sud mais de s’installer dans la capitale méridionale du théâtre. A Avignon, il peut – mais en a-t-il le goût ? - passer voir ses pièces car il est l’un des écrivains les plus joués dans le off. C’est surtout l’une des plumes les plus inventives du théâtre français, donnant par la richesse de son verbe plus de joies que bien des dramaturges fêtés par une intelligentsia corsetée par l’esprit de sérieux. Cet été l’occasion nous est donnée de découvrir ou de redécouvrir une pièce de 2007, Jésus de Marseille. Evidemment, ce n’est pas tout à fait l’Histoire telle que la relatent les Evangiles. Ce Jésus-là est né à même le sol dans une station-service de la capitale phocéenne, parmi les odeurs d’essence. Et, jeune, il a de mauvaises fréquentations. Ainsi monte-t-il dans la voiture d’un certain Satan dont les virées flirtent avec la mort. Mais il va préférer affréter un camion-pizza et faire le bien à partir de ce restau mobile. Malheureusement son activité est très mal perçue. On le jette des lieux où il s’installe. Il finira mal et son dernier message à l’humanité ne sera pas : « Aimez-vous les uns les autres ».
C’est un monologue, une pièce pour un acteur (elle a été créée par Christian Mazzuchini). Danièle Israël, pour le Pôle culturel de Sedan, a préféré la faire jouer par deux comédiens, un homme et une femme, qui se répartissent les paragraphes, les actions, les personnages et même les sexes. Camille Cuisinier et Pierre-Benoît Varoclier sont au centre de la scène, un moment tranquilles, avant de passer à la vitesse supérieure, d’aller et venir sans cesse et d’exploser dans tous les registres. Tous les moments imaginés par Valletti inspirent les acteurs et la mise en scène qui regorgent d’idées pour traduire gestuellement et scéniquement les courses-poursuites, les palabres et la solitude. Le texte est dit dans une parfaite clarté, avec une pointe d’accent, à moins qu’on l’ait rêvé tant, sur un plateau nu, Pierre-Benoît Varoclier et Camille Cuisinier, maîtres de la suggestion ininterrompue, font naître d’odeurs de mer, de coriandre, d’ail et de station-service ! Il y a sans doute peu de salles où l’on rit autant et où la gravité vous reste comme un cadeau de plus, au moment vous quittez à regret ce Jésus du Vieux-Port.
Ces dernières années, Serge Valletti s’est essentiellement consacré à traduire, ou plutôt à faire renaître dans la langue d’aujourd’hui, les comédies d’Aristophane. Cela a donné l’incroyable ensemble de Toutaristophane qui, pour le moment, n’a été joué que partiellement (sauf par Valletti lui-même dans un marathon délirant à de récentes Nuits de Fourvière, à Lyon). Il est cependant revenu à l’écriture personnelle avec Baie des Anges qui a été créé au théâtre de Grasse avant d’être repris dans le off. L’origine de la pièce est singulière. Un producteur de cinéma, Faramarz Khalaj, que Valletti a rencontré grâce à Hovnatan Avedikian, a suggéré à l’auteur un point de départ qui l’obsédait. « Depuis longtemps je gardais au fond de moi le souvenir d’un ami, suicidé il y a des années, et de mon impuissance devant sa douloureuse chronique d’une mort annoncée, dit Khalaj dans le programme. Lorsque nous avons évoqué avec Serge et Hovnatan les thèmes que nous pourrions aborder pour cette pièce, il m’est venu spontanément l’histoire de cet ami qui ne voulait pas dépasser l’âge du décès de sa mère... et qui, à 40 ans, 3 mois et 7 jours, a mis un terme absurde à son existence. »
La scène est une sorte de capharnaüm. Quelques meubles sont recouverts de bâches qui seront retirées. Cet univers désordonné, où se réveille un passé endormi, change peu de forme : c’est un bureau, une chambre, une entrée d’hôtel. Le personnage principal, utilisant de temps à autre un téléphone, un microphone, un magnétophone, une vieille machine à écrire, fait entrer un jeune acteur puis une jeune actrice pour tenter de reconstituer, sous la forme d’une pièce improvisée, la vie d’un ami disparu. Scènes de théâtre, disputes comme dans la vie : tout revient mais en puzzle. Où est le vrai, dans quelle mesure le faux est vrai ? Où est la fiction, où sont les fragments de réalité ? Valletti a composé un vertige qui, à base de tragédie, tend à la comédie ? C’est fascinant. On ne rit pas ici de façon continue comme à Jésus de Marseille. On s’amuse de l’assurance vaniteuse et des tâtonnements maladroits des personnages. Beaucoup aussi du deuxième degré. La mise en scène d’Hovatan Avdikian jongle beaucoup avec les clichés du film noir. La musique de Luc Martinez va dans ce sens – elle retentit comme comme la bande-son d’un film de Douglas Sirk. Ce faux mélo est un régal pour les cinéphiles !
David Ayala incarne le héros central : le metteur en scène au comportement de détective enquêtant sur le passé et lui donnant une consistance de théâtre. On sait combien Ayala est un acteur athlétique. Il est d’une autorité et d’un mystère étonnants. C’est le frère d’Orson Welles, d’Harry Baur ou d’Edward G. Robinson. Avec lui, Nicolas Rappo et Joséphine Garreau participent à une alternance d’apparitions et de disparitions où ils savent être tantôt dans l’apparence tantôt dans la profondeur. Au bout du compte, cette pièce est un beau film intrigant. C’est le deuxième visage de Valletti qui, en authentique marseillais, en possède aussi quelques autres.

Jésus de Marseille de Serge Valletti, mise en scène de Danièle Israël, scénographie et costumes de Gingolph Gateau, avec Camille Cuisinier et Pierre-Benoist Varoclier. Théâtre des Halles, Avignon, 11 h, tél. : 04 32 76 24 51, jusqu’au 29 juillet (relâche le 24). (Durée : 1 h 10).

Baie des anges de Serge Valletti sur une idée de Faramarz Khalaj, mise en scène d’Hovnatan Avedikian, scénographie de Marion Gervais, lumière de Stéphane Garcin, design sonore de Luc Martinez, avec David Ayala, Joséphine Garreau, Nicolas Rappo. Théâtre 11 Gilgamesh Belleville, Avignon, 13 h 45, tél. : 04 90 89 82 63, jusqu’au 8 juillet. (Durée : 1 h 30). Le théâtre de Serge Valletti est publié par les éditions de l’Atalante.

Egalement dans le off : Encore plus de gens d’ici de Serge Valletti, Collège de la Salle, 13 h.

Photo Jacques Delforge : Jésus de Marseille.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

Voir la fiche complète de l'auteur

Laisser un message

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.

S'inscrire à notre lettre d'information
Commentaires récents
Articles récents
Facebook