Retour sur le Festival Off Avignon

La bouteille à moitié pleine, la bouteille à moitié vide

Retour sur le Festival Off Avignon

Dans le Journal du Dimanche daté du 10 août 1980, René Barjavel, assidu depuis son origine au Festival d’Avignon, qui avait compris qu’avec le temps et l’Histoire, le In et le Off étaient les deux membres d’un même corps, écrivait : « Le nouvel Avignon, c’est cela, non plus un grand chêne immense et solitaire, mais le désordre nain d’un taillis ». Le taillis étant le Off qui cette année-là affichait 40 lieux investis, 145 spectacles présentés, soit 2223 représentations proposées, 120.000 affiches collées et recouvertes, 2.100.000 tracts distribués. Des chiffres jugés alors si faramineux que nombreux étaient les commentateurs qui envisageaient sa disparition par étouffement. C’était, outre la force attractive d’un lieu où converge la presse, compter sans la paupérisation généralisée de la vie théâtrale qui au fil du temps a fait d’Avignon un supermarché où les programmateurs de moins en moins mobiles et de plus en plus frileux, viennent compléter les cases vides de leur programmation. Ils ont été 2640 programmateurs ou diffuseurs dans une édition qui cette année a fait exploser tous les chiffres avec 1592 spectacles proposés dans 139 lieux dont 124 théâtres. Quant à l’affichage et la diffusion des tracts, ce n’est pas moins de 23 tonnes de papier qui furent déversées sur la ville.
Les bons chiffres
« Il y aura certainement à venir des modifications sur la question de l’affichage et du tractage. On aura des comptes à rendre si on n’agit pas. Comme me l’a dit un comédien « le jour où il n’y aura plus d’arbres, de toute façon il n’y aura plus d’affiches » expliquait Pierre Beffeyte Président d’AF&C, association qui encadre le Off, lors de la conférence de presse bilan de cette 54ème édition Off qu’il a qualifiée de « jeune, joyeuse et sereine ». Il s’est également félicité de certains chiffres en hausse. Notamment celui de la carte Off : 63.530 vendues (62977 en 2018), 97530 places vendues via la billetterie centralisée (46.015 en 2018) sur lesquelles 95 centimes participent aux frais de gestion et viennent abonder le fonds de soutien de professionnalisation et d’aide aux compagnies représentant pour 2019 un budget de 219.450€ (174.700 en 2018) 222 artistes soutenus ( 185 en 2018). Autre motif de satisfaction relevé par Pierre Beffeyte, le soutien financier pour la première année du Ministère de la culture, à hauteur de 40.000€. Si l’enveloppe de la dotation est modique elle est un symbole qui vaut reconnaissance.
Le Off une course de fond
En dépit des bons chiffres égrenés, tout ne va pas pour le mieux dans le monde du Off, lequel, qu’on le veuille ou non, souffre d’un trop plein de spectacles que mettent crûment en lumière aussi les chiffres. Sur les trois millions de places proposées cette année, un seul a été vendu. Preuve pour le moins évidente que si le nombre de lieux à louer et celui des spectacles présentés est extensible, celui du public, lui, ne l’est pas. Ce qui signifie aussi et surtout que bon nombre de compagnies se sont retrouvées financièrement exsangues après leur venue au Festival.

Faire le Off a un coût . Outre celui du plateau, intervient dans le budget, la location du lieu selon une fourchette allant de 9000 à 22000€ selon la salle - peu de lieux pratiquent la co-production ou la coréalisation-. S’y ajoutent l’hébergement à des tarifs souvent prohibitifs, l’édition des affiches et des tracts. « Si je n’avais pas eu le soutien de Passage production, je ne serais pas venue » explique Camille Hazard jeune metteure en scène programmée au Théâtre du Petit Louvre. Venue déjà l’année précédente, elle vit avec une joyeuse énergie cette « véritable course de fond » qu’est le festival. Car pour les compagnies, le plus souvent sans domicile fixe, si c’est l’occasion rare de pouvoir jouer un spectacle trois semaines d’affilée, il ne s’agit pas seulement de le faire chaque jour « comme pour la première fois en veillant à ne pas décaler », il faut aussi convaincre les festivaliers de venir le voir, d’être son propre agent de publicité, de troquer le restant de la journée son statut d’artiste contre celui d’homme ou femme sandwich. Bref s’adonner à l’épreuve harassante mais indispensable qu’est la distribution des tracts . La présence des spectateurs est aussi à ce prix. Chacun a sa manière et sa stratégie. Camille Hazard et ses comédiens se sont vite rendus compte que tracter à la sortie des spectacles n’était guère payant, « les gens courent d’un lieu à l’autre, sont trop pressés pour vous écouter, au contraire dans les files d’attente à l’entrée des spectacles, ils sont plus disponibles , on peut leur parler et susciter leur curiosité. Quand on leur indique que nous jouons au Petit Louvre, ils paraissent intéressés et gardent notre tract. Il semble que le public du Off soit de plus en plus attentifs aux lieux, qu’il y ait aujourd’hui des lieux référents ». Ceux qui par l’originalité de leur démarche, la tonalité, l’exigence artistique et la diversité des formes de leur programmation se sont forgés une identité. Parmi ceux-ci : le 11 Gilgamesh- Belleville, La Manufacture, Présence Pasteur, Le Théâtre des Halles, La Chapelle du Verbe incarné ou encore le Petit Louvre où Camille Hazard et sa compagnie De brique et de craie proposait Une Bouteille à la mer d’après le roman de Valérie Zenatti, Une bouteille dans la mer de Gaza .

Un récit sur fond de fracas de bombes et de sirènes qui, à travers la correspondance via Internet entre une lycéenne israélienne et un jeune gazaoui, emprunte les chemins du rêve et de l’espoir pour témoigner, loin du prêt-à-penser politique, du conflit israélo-palestinien. Tal (Eva Freitas) volontaire et lumineuse dans ses colères traversées d’espoir et Naïm (Aurélien Vacher) plus sombre et révolté, vont au fil des échanges mieux se comprendre et finir par s’aimer. Tandis qu’en fond de scène quelques projections rythment la progression du récit, sur le plateau nu que traversent d’infranchissables chevaux de frises, les deux interprètes épatants de justesse nous embarquent d’un territoire l’autre vécu au jour le jour et nimbent finement d’ironie, d’éclats de tendresse, de sanglots retenus mêlés d’indicibles espoirs, cette singulière partition épistolaire subtilement orchestrée par Camille Hazard.
De quelques auteurs
Valérie Zanetti était doublement présente au Petit Louvre avec un autre de ses romans, Jacob, Jacob adapté et mis en scène par Dyssia Loubatière et où là aussi l’histoire intime croise la grande Histoire (voir critique de Corinne Denailles n° 6620). Doublement présent aussi, mais au 11 Gilgamesh Belleville, Fabrice Melquiot avec Hercule à la Plage et Ma Colombine », un monologue poético-politique écrit pour le comédien metteur en scène Omar Porras (voir critique n° 6612). Toujours au chapitre des auteurs qui comptent et « en prise avec la société », tandis que le Théâtre des Halles braquait ses projecteurs sur Serge Valetti avec la programmation de trois pièces : « Mary’s à minuit » mis en scène par Catherine Marnas , « Pour Bobby » et « Plein gaz » monté par Alain Timar et une série de lectures et de rencontres, Pierre Notte lui, s’éclatait dans plusieurs lieux, comme auteur au Gémeaux (« Moi aussi je suis Barbara » dans la mise en scène de Jean-Charles Mouveaux), comme auteur metteur en scène au Petit Louvre ( « Des Couteaux dans le dos ») , à L’Artéphile où il faisait avec brio la démonstration que l’ auteur, metteur en scène, comédien, chanteur se doublait d’un malicieux histrion capable de transmuer ses réflexions théâtrales, « L’effort d’être spectateur », en un savoureux moment de théâtre tout tissé d’intelligence et d’ironie (voir critique de Gilles Costaz n° 6614).
Autre auteur qui compte et a affaire au présent de la société, Mohamed Kacimi, de qui on pouvait voir à La Chapelle du Verbe incarné « Tous mes rêves partent de la gare d’Austerlitz », superbe spectacle sur l’abandon et le désarroi du monde carcéral au féminin, réalisé avec doigté par Marjorie Nakache secondée par une distribution haut de gamme (voir critique n°6334)
Un optimisme tempéré d’inquiétudes
Autant d’auteurs dont la présence aura été un des gages du regain artistique du Off et de son intérêt, mais qui ne peuvent le résumer. Ils auront été, mais ce n’est pas rien, quelques balises dans le capharnaüm des 1592 propositions dont un bon tiers de seuls-en-scène. Un format lui aussi en expansion et qui traduit la fragilité économique à l’œuvre dans le Off. S’y ajoute un formatage de la durée des spectacles imposé par le plus grand nombre de lieux qui veulent vendre le plus de créneaux possibles. Des contraintes qui préoccupent de nombreux artistes sur l’avenir artistique du Off. Une inquiétude à laquelle semblait répondre de façon peut-être un peu optimiste le Président de AF&C lors de sa conférence presse : « On est peut-être en train de réaliser cette alchimie tant espérée de faire cohabiter privé et public. L’avenir du Festival est à cet endroit. Si on développe le public on montrera que le Off est un vrai festival de création et non un marché comme on veut le voir aujourd’hui ». Après tout, tous les espoirs sont permis, voilà plus de cinquante ans qu’on prédit sa disparition…….

Photos Une rue d’Avignon ©DR, spectacle « Une bouteille à la mer » ©Julien Vivante.

A propos de l'auteur
Dominique Darzacq
Dominique Darzacq

Journaliste, critique a collaboré notamment à France Inter, Connaissance des Arts, Le Monde, Révolution, TFI. En free lance a collaboré et collabore à divers revues et publications : notamment, Le Journal du Théâtre, Itinéraire, Théâtre Aujourd’hui....

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