Pour en finir avec l’année Wagner

La publication de la riche et captivante correspondance entre Liszt et Wagner, et un bref et éclairant essai d’Alain Galliari, mettent un terme (provisoire !) à l’avalanche de livres consacrés à l’auteur du Crépuscule des dieux.

Pour en finir avec l'année Wagner

Les éditions Gallimard viennent de publier la correspondance entre Liszt et Wagner, à la faveur d’un livre de plus de mille trois cents pages qui vient se substituer au volume publié en 1943. Mille trois cents pages ? Oui, mais la moitié se compose de notes, commentaires, extraits d’autres lettres, qui montre avec quelle érudition passionnée Georges Liébert, artisan de cette publication, a présenté son sujet, comment il a rectifié bien des erreurs contenues dans des ouvrages qu’on croyait de référence comme la biographie de Liszt publiée par Alan Walker (Fayard), et comment cette édition a été faite avec soin (au petit jeu mesquin des erreurs, on ne peut pas relever grand’chose, sinon que David Cairns est rebaptisé Robert, p. 727, et qu’Harriet Smithson meurt neuf ans trop tôt, p. 1 269).

On ne présente plus Liszt et Wagner, bien sûr, même s’il faut répéter que le premier fut l’ami puis le beau-père du second, et même si la lecture de ces lettres précise et nuance un portrait que l’on considère généralement composé comme un diptyque : d’un côté Liszt, chevaleresque et généreux (le 30 janvier 1858, il signe « Franciscus »), dont la musique n’est pas reconnue à sa juste valeur (oui mais cette musique n’est-elle pas faite de tout et de rien ? peut-on également admirer la Dante-Symphonie et la Sonate en si mineur, les poèmes symphoniques souvent patauds et les prodigieuses Années de pèlerinage ?) ; de l’autre, Wagner, obséquieux et intéressé, qui réussit à faire construire un temple à son art (oui mais Parsifal n’est-il pas idéalement conçu pour ce théâtre unique qui fut construit à Bayreuth ?). Le refroidissement de 1859, à partir duquel le rythme des lettres conservées est bien moins soutenu, montre que cette histoire d’amitié et d’admiration ne fut pas étale, malgré des confessions, du côté de Wagner surtout, comme on en trouve dans la lettre du 13 avril 1853 : « Or, je te le demande, qui partage du fond du cœur ma croyance plus que toi, qui crois en moi, qui connais et prouve l’amour comme jamais personne ne l’a pratiqué et montré ? ».

L’ombre d’Hector

Deux ombres planent au-dessus de cette correspondance : celle de la princesse Carolyne Sayn-Wittgenstein, qui fut l’égérie et la compagne de Liszt à partir de 1848, et celle de Berlioz, pour la musique de qui Liszt s’éprit dès 1830, mais qui refusa de faire partie de la trilogie de la « musique de l’avenir » que certains appelaient de leurs vœux. Berlioz, l’inventeur de prototypes et non pas d’un genre comme le fut Wagner, n’eut pas un sens des affaires et des circonstances suffisant pour se faire construire un théâtre, mais il fascina Liszt qui mesurait combien la musique selon Berlioz et la musique selon Wagner étaient irréconciliables (cf. la lettre du 24 janvier 1858). Et n’est-ce pas la princesse Sayn-Wittgenstein qui exhorta Berlioz à composer Les Troyens pour faire pièce à la Tétralogie de Wagner ?* Elle écrit à Liszt : Berlioz « eût trouvé la mort moins amère que l’exécution de Tannhäuser avant Les Troyens. (…) Or, tu sais que j’ai un faible pour Hector et ne voudrais pas que tous les fils soient coupés entre vous ». A cet égard, Georges Liébert a tort de parler, à propos de Berlioz, de « faux ami ». L’affection qui le liait à Liszt a toujours été sincère, et Berlioz n’a jamais trahi Wagner, pour la simple raison qu’il n’a jamais été son thuriféraire, contrairement à Liszt qui défendit l’étendard de l’un et de l’autre : « Je considère comme déplorable de céder à la canaille, qu’elle soit en haut ou en bas », lance-t-il dans un bel élan, le 27 décembre 1882.

On ne saurait résumer en quelques phrases ces lettres qui parlent de musique, de théâtre, d’amitié (on a parfois l’impression que Wagner écrit à Liszt avec une espèce d’impatience qu’il met en scène, comme il aurait pu écrire à Mathilde Wesendonck), de leur santé (Wagner pratiquait l’hydrothérapie, cf. la lettre du 7 août 1853), de leurs affaires (Liszt est à l’aise à Weimar, Wagner tire le diable par la queue car il ne pense qu’à son œuvre, et « l’état précaire de [ses] finances », tel qu’il l’évoque le 13 septembre 1860, fut longtemps l’une des constantes de son existence), de la situation confuse dans laquelle la politique jette parfois les hommes (« je ne suis ni amnistié, ni gracié », écrit également Wagner le 13 septembre 1860), etc. On en apprend aussi beaucoup sur la vie musicale à cette époque ; la liste des vingt-deux théâtres donnés par Wagner le 16 novembre 1853, qui englobe Düsseldorf et Cologne aussi bien que Schwerin et Reval (« liste des théâtres qui m’ont acheté Tannhäuser, mais pas encore Lohengrin  » !), laisse songeur, quand on pense qu’à pareille époque, en France, la vie artistique est presque entièrement concentrée à Paris. C’est que l’Allemagne n’a pas encore connu son unité ; on imagine mal Liszt s’installant à Rouen ou à Dijon et donnant à ces villes le rayonnement qu’il put offrir à Weimar.

Quel salut pour Wagner ?

Dans Richard Wagner ou le Salut corrompu, bref essai qui ressemble à une île dans le flot wagnérien, Alain Galliari resserre volontiers son propos sur quelques ouvrages dont sont exclus ceux qui forment la Tétralogie. Il s’agit là, en étudiant exclusivement les livrets et non pas la musique, de montrer comment Tannhäuser, Lohengrin, Parsifal s’interrogent certes sur leurs origines (on sait que, chez Wagner, dont la paternité n’était pas établie, le thème est une obsession), mais aussi sur leur devenir. Ils n’attendraient que le salut, et feraient tout pour le gagner. Oui mais voilà, il arrive que l’aspiration au Néant l’emporte (chez Tristan et Isolde) ou que l’enjeu ne soit pas celui qu’on croit : « Le sauvetage d’Elsa (sans parler de son Salut) s’avère finalement un prétexte pour Lohengrin, qui n’est venu chercher que ce qui manquait à lui-même ».

Finalement, n’est-ce pas dans l’art que Wagner trouva son propre salut ? Et Walther, dans Les Maîtres-Chanteurs de Nuremberg, n’est-il pas l’un des rares héros wagnériens à connaître la sérénité ? C’est la raison pour laquelle, sans doute, Alain Galliari ne traite pas de cet opéra dans son livre, lequel, avec ses longues phrases et sa méditation sur Dieu, ne ressemble pas à notre époque, ce qui est une vertu : un ouvrage intempestif, qui aurait peut-être plu à Nietzsche.

* A lire : Berlioz, Lettres à la princesse, L’Herne, 2003, 191 p., 15 €. Et bien sûr les huit volumes de la Correspondance générale de Berlioz (Flammarion).

Franz Liszt-Richard Wagner : Correspondance, nouvelle édition présentée et annotée par Georges Liébert, Gallimard, 2013, 1 318 p., 59 €. Alain Galliari : Richard Wagner ou le Salut corrompu, Le Passeur, 2013, 155 p., 16,90 €.

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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