En tournée du 17 mars au 30 avril 2010
Portrait d’une femme de Michel Vinaver
L’énigme Sophie Auzanneau
En 1951, une jeune femme de 24 ans, Pauline Dubuisson, assassine son ex-amant étudiant en médecine qui allait se marier. Deux ans plus tard, elle est condamnée par la Cour d’assises de Paris aux travaux forcés à perpétuité. Libérée en 1959, elle se suicide au Maroc en septembre 1963. C’est à partir de ce fait divers tragique et du procès retentissant qui a suivi, dont il avait conservé les comptes-rendus parus dans le journal Le Monde, que Michel Vinaver a écrit cette pièce en 1984. Si, dans cette transposition théâtrale, Pauline est devenue Sophie Auzanneau, l’auteur reste fidèle au déroulement des audiences et il s’est astreint à “inclure et insérer dans la pièce tout propos cité, par qui que ce soit. De ne pas choisir. De ne pas sélectionner.”. Il a toutefois associé aux débats juridiques de brèves séquences à même de contribuer à l’éclairer sur la personnalité énigmatique de la jeune femme. L‘évocation de rencontres avec ses parents pourrait fournir quelques pistes. Mais pas plus que les retours sur son passé, sa liaison avec un médecin de l’armée allemande durant la guerre, la dimension de son amour pour sa victime ou ses dialogues avec des proches ne révèlent précisément les ressorts et la motivation ayant suscité son acte. Le portrait éclaté de la meurtrière ménage ainsi ses parts d’ombre et de contradictions. Il se dessine pourtant un paysage mental à la manière d’un puzzle, dont l’assemblage des pièces laisse toutefois sa part de mystère à un personnage, dont l’attitude et les refus perturbent la machine judiciaire et ouvrent les questionnements. Entre réalité et fiction, la pièce s’attache à cerner la complexité d’un être cabossé par la vie et incapable de se soumettre aux règles établies par la société qui l’entoure. Sans compassion ni condamnation. L’avocat de la partie civile à ainsi beau jeu de citer Malraux pour qui “Juger c’est de toute évidence ne pas comprendre.” Familière de l’univers de Vinaver, pour lequel elle a créé avec succès une version de Les Travaux et Jours en 2001, Anne-Marie Lazarini accompagne avec beaucoup de subtilité et de rigueur cette pièce dont l’auteur - pour des raisons qui lui sont propres – a toujours refusé qu’elle soit représentée à Paris et en Ile de France. Une œuvre complexe dans sa forme et ses croisements, dont la mise en scène restitue la teneur organique de l’écriture avec une fluidité d’enchaînements adaptée aux glissements ou superpositions des situations évoquées. Elle trouve un apport de choix dans la scénographie et les lumières de François Cabanat, dont le dispositif unique en demi-cercle évoque l’architecture d’une salle de prétoire, dans un rapport d’échelle d’emblée signifiant. Il intègre habillement par un quadrillage du sol et quelques accessoires les multiples localisations définies par la pièce, qui ne relèvent pas pourtant d’une restitution spatiale évidente. Autour de Jocelyne Desverchère (Sophie Auzanneau), comme le souhaitait l’auteur, les dix comédiens interprètent les dix-sept personnages avec cohérence et vitalité, dans les costumes créés par Dominique Bourde, révélateurs de leur condition sociale ou de leur fonction.
Portrait d’une femme, de Michel Vinaver, mise en scène Anne-Marie Lazarini, avec Jocelyne Desverchère, Bruno Andrieux, Jacques Bondoux, Gérald Chatelain, Cédric Colas, David Fernandez, Claude Guedj, Sylvie Herbert, Isabelle Mentré, Michel Ouimet, Arnaud Simon. Musique Hervé Bourde, Scénographie et lumières François Cabanat, Costumes Dominique Bourde.
Théâtre des Deux Rives – Rouen du 17 au 20 mars 2010, T.O.P. – Boulogne-Billancourt du 23 mars au 1er avril, Théâtre national de Marseille du 6 au 10 avril, Comédie de Genève du 20 au 30 avril 2010.
crédit photographique/ Marion Duhamel
