Critique – Opéra/Classique

PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude Debussy et Maurice Maeterlinck

Un grand cru classé

PELLÉAS ET MÉLISANDE de Claude Debussy et Maurice Maeterlinck

Philippe Jordan dans la fosse, Stéphane Degout, Paul Gay, Franz-Josef Selig, Doris Soffel et l’exceptionnelle Elena Tsallagova sur scène : dans les lumières diaprées de Robert Wilson, cette cinquième reprise de l’unique opéra achevé de Claude Debussy est un bonheur pour les oreilles et les yeux.

Créée en 1997 au Palais Garnier cette production signée par la griffe haute couture de l’américain Wilson aurait pu agacer par ses tics design, ses glacis réfrigérés, ses poses stéréotypées qu’il promène d’une réalisation à l’autre avec toujours le même système d’ombres et de lumières. Mais avec cette œuvre atypique, en rupture avec toutes les traditions classiques ou romantiques, avec cette musique lunaire mise au service d’un texte poétique de haute lignée, la fusion Debussy- Maeterlinck semblait prédestinée à son esthétique. Son passage de Garnier à Bastille se fit en douceur, même si on peut regretter l’intimité de la première salle qui exige moins de volume vocal que l’espace du vaisseau Bastille où, les voix sont parfois couvertes par l’orchestre. Même quand celui-ci est dirigé en diligence et raffinement par un maestro habité comme Philippe Jordan qui fait chatoyer toutes les nuances, les courbes, les lumières nocturnes du langage de Debussy.

Premier théâtre musical

Un langage qui s’est mis au service d’une langue : celle de ce maître du symbolisme poétique qu’était le belge Maurice Maeterlinck (1862-1949), né à Gand d’une famille résolument francophone, prix Nobel de littérature. Debussy s’est mis au service du texte de Maeterlinck sans en altérer les dialogues, alors que jusqu’alors les compositeurs s’inspirant d’œuvre dramatiques en faisaient tailler le texte aux mesures de leur musique. Debussy fait l’inverse et fonde pour ainsi dire la première forme de ce qui s’appellera le théâtre musical.

Pour lui rendre justice il faut évidemment des chanteurs à la diction perlée : ceux de ce Pelléas atteignent une sorte de perfection, qu’ils soient français comme Stéphane Degout ou Paul Gay ou qu’ils viennent d’ailleurs comme l’allemand Selig ou la russe Tsallagova. Stéphane Degout est décidément un baryton (et comédien !) capable de se glisser vocalement et physiquement dans une multitude de personnages. On l’a vu flottant entre deux mondes dans Hamlet d’Ambroise Thomas, canaille dans La Chauve-Souris de Johann Strauss, et presque abstrait dans Au Monde de Philippe Boesmans à la Monnaie de Bruxelles. Pelléas, généralement destiné au timbre plus léger d’un baryton Martin constitue un petit défi qu’il affronte en vainqueur grâce à ses aigus qui grimpent avec un naturel confondant. Il retrouve l’aérienne Mélisande d’Elena Tsallagova, ex-pensionnaire de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, avec laquelle il avait déjà formé le couple damné en 2012. Celle qui fut une inoubliable Petite Renarde Rusée de Janacek, la fofolle comtesse de Folleville du Voyage à Reims de Rossini à Anvers, incarne une Mélisande, au français parfait et à la présence irréelle. Une enfant fragile sortie de contes et légende, une silhouette fluette, élastique comme un brin de paille, d’une grâce infinie. Paul Gay confère à Golaud les caractères traditionnels du mari désespéré, englouti dans sa jalousie. Franz-Joseph Selig compose avec autorité un Arkel patriarche sorti des gravures médiévales, Julie Mathévet un Yniold frais et bondissant.

Ode à la solitude

Tous et toutes se prêtent en souplesse à la mise en scène chorégraphiée de Wilson, où les êtres se frôlent sans jamais se toucher, comme dans les tragédies antiques ou raciniennes, dans la beauté fulgurante des images où le bleu du ciel et le bleu de l’eau omniprésente se suivent et se confondent, où les géométries nocturnes s’expriment au final comme une ode à la solitude des êtres, leur incontournable destin.

Pelléas et Mélisande de Claude Debussy, poème de Maurice Maeterlinck, orchestre et chœur de l’Opéra National de Paris, direction Philippe Jourdan, chef de chœurs José Luis Basso, mise en scène et décors Robert Wilson, costumes Frida Parmegianni, lumières Heinrich Brunke et Robert Wilson. Avec : Stéphane Degout, Elena Tsallagova Paul Gay, Franz-Josef Selig, Doris Soffel, Jérôme Varnier, Julie Mathévet.

Opéra Bastille, les 2, 13, 16, 19, 22, 25, 28 février à 19h30, le 10 à 14h30.

08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 - www.operadeparis.fr

Photos Elisa Haberer - Opéra National de Paris

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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