Critique – Opéra & Classique

Otello de Giuseppe Verdi

Grandeur verdienne, fragilité humaine

Otello de Giuseppe Verdi

L’avant-dernier opéra de Verdi, Otello, créé en 1887, ne fût donné à Paris en version originale seulement 89 ans plus tard. Paris, depuis, l’a adopté et adapté sous plusieurs formes. Dernière en date : la mise en scène du Roumain Andrei Şerban donnée la première fois en 2004 à Bastille et reprise cette année avec un casting musical particulièrement attendu : de Billy à la direction, Alagna-Kurzak en Otello-Desdemona et Gagnidze en un Jago obscur. L’attente crée toujours la surprise, cette première l’a confirmé.

L’opéra s’ouvre sur la scène de la tempête, qui donne le ton d’une histoire promise aux pires fins : violence, panique, fatalité, puissance. Bertrand de Billy embarque Bastille, dès les premières mesures, sur ce chemin de folie et de mort, grâce à une direction énergique et inspirée. L’orchestre de l’Opéra national de Paris répond avec précision et entrain, bien que l’on attende quelques fois des pupitres qu’ils nous fassent entendre de plus subtiles couleurs. Intense et chargée de contrastes, la partition verdienne est correctement mise en valeur. Manifestement aussi attentif à la scène qu’à son orchestre, le chef canadien semble parfois relâcher pour délivrer une battue trop imprécise dans les tempos lents et les récitatifs, laissant quelques décalages émerger.

L’Opéra de Paris ressort donc la mise en scène d’Andrei Şerban déjà vue à Bastille en 2004 et 2011 (voir WT n°2849). Le décor sommaire veut créer une ambiance méditerranéenne : mer au loin, palmier, et mur d’arcades couleur sable. Drapeaux, blasons, soldats et fusils rappellent une toile de fond aux accents belliqueux. Tout au long des quatre actes, des rideaux de tulle suspendus glissent sur des rails et partagent la scène en espaces distincts : procédé pratique, mais malheureusement peu délicat... Caroline Alexander interrogeait déjà en 2011 la cohésion d’ensemble et l’intérêt de certains choix -que le metteur en scène revendique d’inspiration purement shakespearienne ?-, comme la rémanence des fauteuils Chesterfield rouge dont on peine à saisir l’apport ou le sens symbolique. Le tout manque de cohésion et d’un brin d’élégance.

Graciela Galán habille les femmes de robes de bal longues, Desdemona porte successivement le blanc, le noir, le rouge puis de nouveau le blanc pour mourir. Les hommes sont en tenue militaire sombre et assez sobre, bien que le Maure de Venise arbore un costume mi-militaire, mi-bouffant, peu distingué.
Verdi avait un temps pensé baptiser son opéra « Jago », tant l’intrigue tout entière repose sur les manigances de l’officier. Clef de voûte perfide et stratège d’un drame sinistre, Jago est interprété par George Gagnidze, convaincant par sa stature imposante et les accents sombres de son timbre. Il joue un personnage plus machiavélique que démoniaque, qui manipule les ficelles du mal et paralyse la clairvoyance du Maure, se félicite que « le poison opère », puis se réjouit de voir son entreprise porter ses fruits funèbres. Si les graves sont parfois difficilement décomposés et presque tassés, la voix est profonde et sonore, les médiums clairs laissent entendre de jolies couleurs.

C’est de Roberto Alagna que vient la plus grande surprise de la soirée. Servi par une voix vigoureuse et parfaitement projetée, une diction impeccable, un timbre clair et coloré, le ténor français livre une première partie pleine de panache et remarquée. Alagna subit après l’entracte une émission difficile et quelques graves voilés voire « grattés » : la voix est éraillée et l’oblige à forcer. Si au courage il termine l’œuvre, il était temps que la représentation se termine. Alagna restitue avec justesse un Otello prisonnier d’un tourbillon fatal de sentiments, qui, dépossédé de tout contrôle de lui-même glisse de la méfiance à l’angoisse, de la jalousie à l’hystérie, pour n’être finalement gouverné que par un horrible instinct de mort.

Sur ce mur inébranlable de déraison et de paranoïa, les assauts de sincérité de la Desdemona d’Aleksandra Kurzak finissent par l’épuiser, la tuer. Sensible, sincère et touchante, elle fait valoir en plus de son talent lyrique déjà remarqué en Violetta cette année, de convaincantes performances d’actrice. La chanteuse polonaise se démarque dans cette production attendue, grâce à sa ligne de chant gracieuse, sa diction précise et son sens de la mélodie et des justes nuances, comme dans l’acte IV, où ses graves assurés et ses aigus fins lui permettent de chanter un Piangea cantado magnifique appuyé sur des pianissimos émouvants.

Frédéric Antoun campe un Cassio tout aussi valeureux que candide. Sa prestation de qualité fait regretter une voix manquant parfois d’un brin d’éclat, dans les graves notamment. Lodovico est chanté par Paul Gay qui apporte au personnage charisme et autorité et dont on retiendra les graves assurés, et le timbre profond et posé. Roderigo est incarné par un Alessandro Liberatore énergique à la voix claire. Bien que trop peu présente dans la partition, Marie Gautrot fait une Emilia toute de douleur et de rage, remarquée dans un joli dernier acte.

Les chœurs, dont on apprécie la clarté, la justesse, et l’épaisseur, placent la barre haut dès la première scène de la tempête, pour apporter tout le long de cet Otello corps et élan.

Au tragique verdien est venue ce soir s’ajouter la surprise du spectacle vivant. Mais la fragilité du ténor héroïque ne fit-elle pas aussi un peu de sa grandeur ?

Otello de Giuseppe Verdi, opéra en quatre actes, d’après William Shakespeare, créé en 1887.
Direction musicale Bertrand de Billy, mise en scène Andrei Şerban, décors Peter Pabst, costumes Graciela Galán, Lumières Joël Hourbeigt, chef des chœurs José Luis Basso.
Orchestre et chœurs de l’Opéra national de Paris, Maîtrise des Hauts-de-Seine/chœur d’enfants de l’Opéra national de Paris
Avec : Otello Roberto Alagna, Desdemona Aleksandra Kurzak, Jago George Gagnidze, Cassio Frédéric Antoun, Roderigo Alessandro Liberatore, Lodovico Paul Gay, Montano Thomas Dear, Emilia Marie Gautrot, Un araldo Florent Mbia.

Opéra Bastille, les 7, 13, 16, 20, 23, 26 et 29 mars 2019 à 19h30.
Les 1er et 4 avril, à 19h30. Le 7 avril à 14h30.
08 92 89 90 90 - +33 1 72 29 35 35 – www.operadeparis.fr
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Quentin Laurens

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