Oncle Vania d’Anton Tchekhov

Une mise en scène bien à la peine

Oncle Vania d'Anton Tchekhov

Anton Tchekhov ausculte ses personnages avec la bienveillance du médecin qu’il était. Il a eu plus qu’à son tour l’occasion d’approcher de près le malheur des hommes. Dans un monde finissant à l’avenir incertain, les personnages ont bien des raisons de pleurer sur leur solitude, l’ingratitude d’une existence sans amour. Vania entretient le domaine qui appartenait à sa sœur décédée et à son époux Serebriakov, remarié avec la belle Elena, et père de Sonia qui vit auprès de Vania qu’elle épaule dans ses tâches quotidiennes. La pièce sous-titrée « scènes de vie à la campagne » est un huis-clos familial au sein duquel va exploser toutes les frustrations, les inquiétudes existentielles, les ressentiments, les émotions, les excès de colère, d’alcool, de tristesse, à l’occasion de l’irruption de Serebriakov et d’Elena. Le professeur Serebriakov est un être égoïste et arrogant. L’élégante et séduisante Elena fait souffler un vent de sensualité dévastateur qui désorientent les personnages et les conduit à rêver d’amours impossibles. De la confrontation entre deux mondes antagonistes, la pénibilité de la vie à la campagne et l’oisiveté petite-bourgeoise, il ressort que le pouvoir est toujours du même côté mais que les uns ne sont pas plus heureux que les autres.
Aux yeux de l’auteur, l’homme vaut mieux que ce qu’il croit et mérite une vie meilleure mais il ne le sait pas, le théâtre est là pour l’encourager à l’inventer. Par la voix du médecin Astrov (Cyril Gueï), militant écologiste avant l’heure, il alerte sur la destruction de la planète, vilipende l’inconséquence des hommes qui détruisent sans réfléchir à l’avenir. En plus de s’occuper de la protection des forêts et de leur gestion raisonnée, le médecin est végétarien. Astrov est le seul personnage actif qui regarde vers l’avenir.
Le propos se suffit à lui-même et point n’était besoin d’imaginer une improbable dystopie à la mode avec à la clé une scénographie de fin du monde : empilement de gros pneus de camion, bastringue déglingué qui joue tout seul, vilaine grotesque guirlande pour accueillir le couple venu de Moscou d’un « welcome », rideau de lames plastiques, sans parler des étrangetés tels ce bâton de paroles qui passe de main en main, censé peut-être souligner la solitude des personnages, ou ce pied de micro à l’avant-scène, ou encore ces poules caquetant au mauvais moment qui gâchent une scène. Etaient-elles vraiment nécessaires pour nous rappeler que nous sommes à la campagne ? Simplifier les noms russes difficiles à mémoriser est une bonne idée mais remplacer « oncle » par « tonton » prête à rire à mauvaise escient. La nouvelle traduction tout comme la direction d’acteur laissent souvent perplexe. Le jeu outrancier d’Andrei Seweryn (Serebriakov) disqualifie le personnage autant que la virevoltante Suliane Brahim (Elena) qui semble défiler sur un podium pour une marque de vêtements. La mise en scène du Bulgare Galin Stoev manque singulièrement d’intériorité et de subtilité, à l’opposé du théâtre de Tchekhov. Faire confiance au texte, sans plus, est parfois la meilleure manière de l’honorer.

Oncle Vania d’Anton Tchekhov. Traduction, Virginie Ferrere et Galin Stoev. Mise en scène Galin Stoev. Scénographie Alban Ho Van. Lumières, Elsa Revol. Costumes, Bjanka Adžić Ursulov. Son et musique, Joan Cambon. Avec Suliane Brahim, Caroline Chaniolleau, Sébastien Eveno, Catherine Ferran, Cyril Gueï, Côme Paillard, Marie Razafindrakoto en alternance avec Elise Friha, Andrzej Seweryn. A Paris, Odéon-théâtre de l’Europe jusqu’au 26 février 2023.
www.theatre-odeon.eu

© Marie Liebig

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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