Critiques - Opéra/Classique

OWEN WINGRAVE de Benjamin Britten

Ode au refus des armes

OWEN WINGRAVE de Benjamin Britten

L’Opéra National de Lorraine ouvre sa saison avec une pièce rare, Owen Wingrave, avant dernière œuvre lyrique du britannique Benjamin Britten (1913-1976), créée en 1971 d’après une nouvelle de Henry James, le prolifique écrivain américain qui lui avait déjà inspiré en 1954 Le Tour d’Ecrou.

Alors que ce dernier opéra, tout comme Peter Grimes, Billy Budd, Le Viol de Lucrèce ou autre Albert Herring sont régulièrement portés sur les scènes (voir WT 1142, 1197,1546, 1775, 1812, 2300, 2379,2393 3981), Owen Wingrave reste dans l’ombre des répertoires. Œuvre étrange, âpre, noire, engagée, elle est née d’une commande de la BBC qui la destinait à la télévision. Quatre années de travail pour le compositeur et sa fidèle librettiste Myfanwy Piper et une déception à l’arrivée : le résultat du film obtenu pour le petit écran ne correspondait pas à leur attente. Elle fut comblée deux ans plus tard par une production scénique de Covent Garden.

Deux thèmes chers à Britten s’entrecroisent dans cette œuvre tardive, la guerre déjà dénoncée dans son superbe War Requiem en 1962 et, comme dans Le Tour d’Ecrou, le fantastique, la présence et le poids de ceux qui ont disparu dans des circonstances mystérieuses et dont les ombres hantent les mémoires. Owen Wingrave, dernier né d’une dynastie de militaires, affiche sans détour son antimilitarisme et refuse la carrière en armes qui lui était prédestinée. « Le courage de la guerre, c’est faux, clame-t-il, c’est le courage de la paix et des poètes qui doit remporter tout ! ». Au grand désarroi de son instructeur qui tente de le comprendre, au grand dam de sa famille qui le déshérite au nom de ses ancêtres. Parmi lesquels flotte le spectre de celui qui au nom de l’honneur militaire a tué son propre fils. Owen dans sa révolte rejoindra le sort de l’enfant sacrifié dans la galerie de portraits des supposés héros de la famille.

Britten, le compositeur qui remit la musique au cœur de l’Angleterre alors qu’elle n’avait plus connu de vrai compositeur depuis Purcell, aimait puiser les sujets de ses opéras dans les chefs d’œuvres de la littérature. Les romans et nouvelles d’Henry James, d’Herman Melville, de Thomas Mann nourrirent ses compositions où le texte conserve une importance majeure. Britten garde au théâtre sa fonction première, il l’habille, l’orne, le sublime par sa musique.

Au coeur d’un plateau tournant

Eve-Marie Signeyrole, femme de cinéma et de théâtre ayant collaboré avec de nombreux metteurs en scène d’opéra (Sellars, Pelly, Decker, Warlikowski) pose le drame dans l’angle formé par les caméras auxquelles l’œuvre fut d’abord destinée et celui des revendications des personnages. Tout se passe autour et au cœur d’un double plateau tournant sur lequel se greffent des structures métalliques et des images filmées projetées sur les côtés et en fond de scène. Une plate-forme pétrolière plutôt qu’un manoir, pour figurer la fortune d’une famille nantie, la mer démontée qui gonfle et roule et donne le tournis, un ciel d’orage strié de nuées, des envols d’oiseaux noirs, des images où la poésie alterne avec le réalisme : tout bouge constamment, un peu trop sans doute, comme si la réalisatrice avait voulu donner vie au moindre soupir poussé. Mais la beauté l’emporte par l’impressionnant équilibre des décors de Fabien Teigné, la justesse des lumières de Philippe Berthomé, l’humour des costumes de Yashi et l’onirisme des images. Britten est présent jusque dans ses combats et ses obsessions, l’homosexualité, l’intolérance et la guerre (celle du Vietnam faisait rage à l’époque). Les ambiguïtés de son existence à la fois marginale et publique son esquissées sans détour.

L’atout des chanteurs anglophones

Le choix de chanteurs exclusivement anglophones (anglais, américains, irlandais) constitue un atout supplémentaire. On entend les mots comme la musique qui les élève au-delà du quotidien. Britten savait composer pour les voix et cette œuvre de maturité en concentre le savoir-faire. L’homogénéité de l’ensemble de la distribution est frappante. Chacun, chacune est à sa place, en chant et en conviction. Trois sopranos, Katherine Broderick à l’ample projection et au jeu tendre et malicieux, Orla Boylan, coupante, raide comme la justice ou l’honneur de la famille, Judith Howard tout aussi acide, une mezzo, Kitty Whately, chaleureuse et fragile en fiancée perdue, deux ténors, Chad Shelton clair et incisif dans le rôle de l’ami d’enfance, militaire fringant floué en amour et Mark Le Brocq, plus sombre en Général défenseur d’honneur, rôle écrit pour Peter Pears le compagnon de Britten, deux barytons, Allen Boxer tout en élégance intérieure pour l’instructeur au cœur en éveil, et, dans le rôle-titre Ashley Riches, révolté humble et déterminé, le timbre en fermeté et retenue, émouvant sans pathos.
Des garçonnets à la présence éloquente jouent en silence les rôles du héros et de son ami quand ils étaient enfants et s’amusaient au jeu de l’épée comme à la marelle. Le chœur d’enfants du Conservatoire régional du Grand Nancy apporte sa maîtrise juvénile et ses senteurs d’innocence à l’ensemble.

De retour à Nancy à la tête de son Orchestre symphonique et lyrique, le jeune Ryan McAdams passe sans transition mais avec le même bonheur du swing endiablé de Candide de Bernstein (voir WT 3951 du 10 décembre 2013) à la complexité des nuances couleur d’encre et de rosée de la partition de Britten. Précision des battues, enthousiasme communicatif, la réussite est au rendez-vous de cette rareté enfin exhumée.

Owen Wingrave de Benjamin Britten, livret de Myfanwy Piper, orchestre symphonique et lyrique de Nancy, direction Ryan McAdams, chœur d’enfants du Conservatoire régional du Grand Nancy, mise en scène et conception vidéo Eve-Marie Signeyrole, scénographie Fabien Teigné, costumes Yashi, lumières Philippe Berthomé, réalisation vidéo collectif IDSCENES. Avec Ashley Riches, Allen Boxer,Chad Shelton, Orla Boylan, Katherine Broderick, Judith Howarth, Kitty Whately, Mark Le Brocq.

Opéra National de Nancy, le 5 octobre à 15h, les 7, 8, 10, 11 octobre à 20h.

03 83 85 30 60 – www.opera-national-lorraine.fr

Photos Opéra National de Lorraine

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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