Nathan !? d’après G.E.Lessing

Nous devons être amis

Nathan !? d'après G.E.Lessing

La pièce de Lessing est un hymne magnifique à la tolérance, l’expression d’un projet ambitieux inscrit de plain-pied dans le Siècle des Lumières dont le propos résonne avec au moins autant de force que le Traité sur la tolérance de Voltaire, preuve tragique de la folie des hommes. La mise en scène de Nathan le sage est très complexe car les actions y sont rares. La pièce tient du conte théâtral, d’ailleurs, la fameuse parabole des anneaux, pivot du texte, est présentée comme un conte raconté par Nathan au sultan Saladin.
La pièce se situe au XIIe siècle à Jérusalem, où coexistent les trois peuples des trois religions monothéistes. Où il s’avère que la fille du Juif Nathan est une chrétienne qu’il a recueillie enfant, que le templier qui l’a sauvée des flammes et est tombé amoureux d’elle est son frère et qu’ils sont tous deux les enfants d’Assad, le frère mort du sultan qui avait épargné la vie du templier parce qu’il ressemblait étrangement à son frère. Lessing tisse les liens entre les personnages faisant en sorte que chrétiens, Juifs et musulmans se retrouvent appartenir à la même famille. « Nous devons être amis » répète-t-on à l’envi. Au centre, la parabole des anneaux entend démontrer qu’il est impossible de déterminer qu’elle serait la « vraie » croyance.

Adossé à ce postulat, Nicolas Stemann a voulu conjuguer la pièce de Lessing avec des textes d’Elfriede Jelinek, avec qui il travaille souvent, afin de mettre en relief les enjeux contemporains de Nathan le sage, usant de Bataclan et de Crassier (nom donné aux déchets produits par les mines) comme de catalyseurs, des produits chimiques réactifs. Si la collaboration de Stemann et Jelinek a pu donner lieu dans le passé à des productions spectaculaires, électriques et dérangeantes (Les Contrats du commerçant, 2012), elle ne trouve pas ici d’évidente justification. La simplicité d’un propos décousu et hétéroclite sur l’argent comme nouvelle foi qui mélange une critique politique sommaire avec des évocations, mal venues sous cette forme, de l’attentat à l’hyper-cacher et à Charlie hebdo, ou de l’holocauste ou encore la critique en forme de slogan visuel de la grande finance avec les masques grotesques de certains dirigeants européens. Tout ceci proféré en chœur sur un mode un peu hystérique. On se serait volontiers passé de ce pseudo brûlot politique, Nathan le sage n’ayant nul besoin de sous-titres ni de chambre d’écho. Il n’est pas certain que son propos soit si naïf et daté que le dit le metteur en scène, nécessitant par conséquent la confrontation avec l’actualité. Le dénouement de Nathan est l’expression d’un rêve pour une humanité apaisée ; les accents shakespeariens de la pièce illustrent combien l’art est un miroir du monde et un vecteur de réflexion.

Autant les séquences consacrées à Crassier et Bataclan de Jelinek déçoivent, autant les scènes de la pièce de Lessing sont réussies. Dans la pénombre du plateau baignant dans une lumière bleutée, figurent quelques éléments symboliques, instruments de musique orientaux, armes, signes religieux des trois monothéismes mais aussi moyens technologiques. Descendant des cintres, un imposant mégaphone, éclatant de blancheur, diffusent les voix des comédiens disant le texte jusqu’à ce que le rideau de fond de scène se lève révélant les acteurs debout derrière un micro. Le fil du texte est par instant fracturé, des brèches s’ouvrent pour inclure avec un certain bonheur le temps réel de la représentation, créer une distance par l’humour dans une mise en scène dynamique et inventive. Les retours de certains passages clés, le traitement parfois choral du texte instaurent une belle tension (moins convaincant dans Crassier). Les comédiens sont tous excellents, chacun donnant une belle densité à son personnage sans jamais jouer l’incarnation. Entre conte et théâtre, le message de tolérance de Lessing est ici transmis dans toutes ses dimensions, humaniste, philosophique et littéraire.

Nathan !? d’après Nathan le sage de G.E. Lessing et Crassier/Bataclan de Elfriede Jelinek . Mise en scène : Nicolas Stemann. Traduction et dramaturgie : Mathieu Bertholet. Scénographie : Katrin Nottrodt. Musique : Waël Koudaih (Rayess Bek). Costumes : Marysol del Castillo. Vidéo : Claudia Lehmann. Avec Lorry Hardel, 
Lara Katthabi, Mounir Margoum, Serge Martin, 
Elios Noël, Véronique Nordey, Laurent Papot, Lamya Regragui et les musiciens :
Waël Koudaih (Rayess Bek), Yann Pittard. A la MC 93 à Bobigny à 20h30 jusqu’au 7 octobre. Résa : 1 41 60 72 72.
www.mc93.com
© Samuel Rubio

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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