Critique – Opéra/Classique

Nabucco de Giuseppe Verdi

Politique fiction sur scène, realpolitik dans la salle.

Nabucco de Giuseppe Verdi

Cette nuit-là tout était en place pour une soirée brillante : Nabucco ouvrait la saison après une dizaine d’années d’absence et Barcelone adore Giuseppe Verdi. De surcroît la Catalogne aime à se contempler dans l’histoire des peuples opprimés.

Quelques instants avant le lever du rideau, un enthousiaste « Visca el President ! » (« Vive le Président ! ») s’éleva dans le théâtre saluant ainsi la présence d’Artur Mas, première autorité de la Generalitat, (le gouvernement de la Catalogne), et chef de file des partis indépendantistes. La majorité du public se leva et applaudit fortement dans un fervent hommage, en direction du premier étage où se trouvait le Président.
En retour l’autre cri « Pilota ! » (« Lèche bottes ! ») défiant le « Visca » n’eut guère de succès et le public, porté par un élan d’enthousiasme, prolongea son ovation durant de longues secondes encore. Le spectacle commença donc fort bien cette nuit-là dans un contexte incontestable de realpolitik.

Une fosse aussi brillante que la salle.

L’orchestre du Liceu adore Giuseppe Verdi , cela se voit et s’entend. Il joue à merveille et tout en nuances sa musique. Et ce fut naturellement ce soir-là l’idylle parfaite entre l’orchestre et le chef Daniel Oren.

Fin connaisseur de l’œuvre du maître Oren se donna tout entier à la réussite du spectacle, accompagnant tous les rôles, toutes les indications musicales, là, de sa gestuelle inimitable, là, de sauts, de chants. Il employa même une sorte de langage ésotérique de la main gauche un peu semblable à celui de Luis Fernandez, ancien entraineur du PSG, qui faisait les délices du zapping à la télévision. Le succès fut total et notre chef, si expressif, ne se fit guère prier pour bisser le chœur « va pensiero », et reçut en retour des applaudissements nourris, rarement adressés à un chef dans la maison.

Toujours plus haut, toujours plus fort

Plaçant l’action pendant les années 30 – à en juger par les costumes d’Alison Chitty - Daniele Abbado a suivi un apriori très à la mode (il faut que le public s’y retrouve), évitant ainsi en même temps le clinquant supposé des cours royales d’antan, difficile à faire passer aujourd’hui, et les frais de décors qui en auraient découlé. Quelques détails vestimentaires choisis ont suffi à caractériser le peuple juif, et seuls certains gestes et certaines attitudes des choristes et des figurants, ont suffi à mettre en lumière les horreurs de la déportation. Peut-être a-t-il manqué en revanche une bonne définition visuelle des Babyloniens conquérants car ils étaient habillés presque exactement comme les peuples conquis. Cela a troublé quelque peu le suivi de l’histoire qui, comme l’on sait, mélange vainqueurs et vaincus par le truchement des amours entre Fenena, la babylonienne, et le juif Ismaël.

Le décor – un cimetière juif très stylisé au départ, puis la scène totalement vide à la fin - a contribué à retranscrire la noirceur des passages sombres de l’histoire et, en même temps, en un contraste surprenant, il a rendu dérisoire la grandeur de l’empereur babylonien, soulignée pourtant par la brillance de la musique.

Une palette de chanteurs exceptionnels.

N’ayons pas peur des superlatifs lorsque c’est mérité. La performance des chanteurs comme celle du chœur – préparé par Conxita García, nommée après le départ de José Luis Basso aujourd’hui chef du chœur à l’ONP - fut exceptionnelle. Il nous sera impossible de recenser les qualités de chaque prestation. A minima on ne pourra pas oublier l’angoisse contenue et l’élégant phrasé de Vitalij Kowaljow (Zacaria), les immenses récitatifs et les airs vocalement dévastateurs parfaitement maîtrisés de Martine Serafin (Abigaile), la douceur et la fine élocution de Marianna Pizzolato (Fenena), la générosité vocale de Roberto De Biasio (Ismaele), ou encore la contribution puissante de Anna Puche (Anna) en particulier dans les interventions d’ensemble et, bien entendu, l’autorité physique et vocale, puissante et bien ciselée du porteur du rôle-titre Ambrogio Maestri.

Nabucco, opéra en quatre parties de Giuseppe Verdi, livret de Temistocle Solera. Direction musicale Daniel Oren. Mise en scène Daniele Abbado, décors et costumes Alison Chitty, lumières Alessanndro Carletti. Avec Ambrogio Maestri, (Luca Salsi), Martina Serafin, (Tatiana Melnychenko), Vitalij Kowaljow, (Erico Iori), Roberto di Biasio, (Alejandro Roy), Marianna Pizzolato, Alessandro Guerzoni, Javier Palacios, Anna Puche.

Coproduction Gran Teatre del Liceu, Fondazione Teatro alla Scala, Royal Opera House Covent Garden, Lyric Opera of Chicago.

Gran Teatre del Liceu les 7, 10 14, 17, 19, 22 octobre 2015 avec la première distribution.
Les 9, 16, 18 et 21 octobre avec la deuxième distribution.

Tél. +34 93 485 99 29 Fax +34 93 485 99 18
http://www.liceubarcelona.com exploitation@liceubarcelona.cat

Photos Antonio Bofill

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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