Critique – Opéra/Classique

NABUCCO de Giuseppe Verdi

Quand le rituel religieux et celui du théâtre se tendent la main…

NABUCCO de Giuseppe Verdi

Des voix superbes, une mise en scène en décalage avec les traditions : à Nancy, Nabucco, premier grand opéra de Giuseppe Verdi fascine et dérange à la fois.

La destruction du Temple de Salomon, premier foyer religieux des Hébreux, par les Assyriens de Nabuchodonosor renvoie généralement à une imagerie de péplums façon Ben Hur, fresque historique, larges plaines, hauts murs, foules denses. A l’Opéra National de Lorraine le metteur en scène anglais John Fulljames qui signa, il y a quelques mois sur cette même scène, une Clémence de Titus abstraite et intemporelle (voir la La Clémence du Titus-du 2 mai 2014) choisit pour ce Nabucco, troisième opus lyrique et premier grand succès de Giuseppe Verdi, un point de vue quasi opposé. Un lieu fermé, ancré dans le réel s’est substitué aux géométries mobiles du décor mozartien. Une synagogue devient ainsi le centre emblématique de l’action et des symboles qu’il génère. Lieu de culte, lieu de rites car, déclare Fulljames dans le programme, le rituel religieux et celui du théâtre sont liés.

La synagogue reconstituée sur scène par Dick Bird, le décorateur, a pris pour modèle une vraie synagogue de Slovénie partiellement détruite et rafistolée. Zaccaria est un rabbin portant kipa et talith à franges sur les épaules. Les Hébreux sont des juifs ordinaires portant les accessoires ordinaires de leur foi, les hommes, comme les femmes, comme les enfants nombreux, qui, de génération en génération vont transmettre le vécu de leur histoire. Leurs vêtements ont la neutralité de ce qui se portait à la mi-temps du XXème siècle et qui se porte encore. L’intemporalité chère à Fulljames porte les marques d’un temps récent, sans relation pourtant avec une quelconque actualité.

Tantôt sacré, tantôt profane, un site singulier

Les Assyriens, leur roi Nabucco et le grand prêtre de Baal sont costumés, larges capes, soieries rayées, couronnes fantaisistes sans temps ni lieu, ce qui leur donne un petit côté opérette. Les deux civilisations se croisent, s’affrontent puis cohabitent dans ce site singulier, tantôt sacré, tantôt profane. Il n’est pas sûr que chacun y retrouve l’imaginaire des temps bibliques transmis par les livres. D’autres y décèleront au contraire une pérennité qui va des millénaires lointains au siècle de Verdi qui se battait pour que l’Italie soit débarrassée de ses occupants et devienne une. L’intimité supplante la grandeur, le célèbre Va pensiero y perd un peu d’âme, mais l’ensemble est en tout cas cohérent.

Trois Abigaille

Le choix initial des interprètes fut vertigineusement perturbé : pour Abigaille, rôle clé, l’un des plus périlleux de tout le répertoire lyrique, la soprano Silvana Dussmann d’abord distribuée dut renoncer à l’exploit. Sa remplaçante Elisabeth Blancke- Biggs poursuivit les répétitions jusqu’à l’apparition d’une allergie qui bloqua ses cordes vocales deux jours avant la première. Appelée à la rescousse, Raffaella Angeletti débarqua in extremis et sauva la mise en grande professionnelle. Elle connaît le rôle et ses pièges, le personnage et ses détours pour l’avoir interprété notamment sous la direction de Ricardo Muti. Une présence étrange, une puissance vocale sachant filer en douceur, un legato maîtrisé dans tous les bonds de registre, du plus grave au plus aigu, en passant par les vocalises ornementées. Performance de haut vol, brillante et émouvante qui faillit éclipser les qualités ses partenaires, mais c’est la faute à Verdi qui conçut le rôle pour la soprano colorature acrobate Strepponi qui allait devenir sa femme. Giovanni Meoni prête son beau timbre de baryton velouté à un Nabucco plutôt retenu, Alexander Vinogradov, basse aux graves d’encre noire, incarne avec aplomb et autorité un Zaccaria, patriarche curieusement rajeuni, Ismaël se pare de la clarté solaire du ténor Alessandro Liberatore, Diana Axentii donne à Fenena une pudeur satinée.

Les chœurs (celui de l’Opéra National de Lorraine et celui de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole), élément capital de l’œuvre, remplissent vaillamment leur rôle après quelques petits décalages lors de la première intervention qui ouvre l’opéra (trac d’un soir de première ?). Rani Calderon dans la fosse dirige l’orchestre symphonique et lyrique de Nancy en professionnel aguerri, sans la moindre prise de risque. Tout est en place mais rien ne décolle. L’émotion tombe en panne. Dommage.

Nabucco de Giuseppe Verdi , livret de Temistocle Solera, orchestre symphonique et lyrique de Nancy direction Rani Calderon, chœur de l’Opéra National de Lorraine et de l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, chef de chœurs Merion Powell et Nathalie Marmeuse, mise en scène John Fulljames, décors Dick Bird, costumes Christina Cunningham, lumières Lee Curran, chorégraphie Maxime Brahame. Avec Raffaella Angeletti (et Elisabeth Blancke-Biggs, les 2 & 4 décembre) Giovanni Meoni, Alexander Vinogradov, Alessandro Liberatore, Diana Axentii, Kakhaber Shavidze, Tadeusz, Szczeblewski, Elena Le Fur, Yves Breton .

Nancy – Opéra National de Lorraine, les 25 ; 27 novembre, 2 & 4 décembre à 20h, le 30 novembre à 15h.

03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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