Artistic Athévains (Paris)

Monsieur X, dit ici Pierre Rabier

Les sourdes ambiguïtés du mentir vrai

Monsieur X, dit ici Pierre Rabier

1944 : Paris sous l’occupation. A la ville fantôme, il ne reste comme points de repère que les stations de métro, tantôt abris, tantôt lieux de rendez-vous errants pour la milice comme pour les résistants. C’est là que Marguerite D., résistante du réseau Morland (Mitterand), rencontre le tortionnaire Pierre Rabier dans l’espoir de faire libérer son mari Pierre Antelme arrêté par la Gestapo puis déporté. C’est une histoire vraie. Ou presque.

La scène est vide. Pour tout décor un plan du métro tracé au sol et, dans les cintres, des ampoules nues qui descendent se fixer d’une station à l’autre pour indiquer les espaces de rencontres. Et trois tables, autant de chaises qui, une fois posés donnent l’illusion d’un bistrot populaire ou d’un restaurant chic. Les personnages se déplacent à vélo, en une étrange chorégraphie de fuite en avant et de balancier.
Jacques Lassalle a adapté et mis en scène l’un des trois récits autobiographiques du recueil que Marguerite Duras intitula La Douleur.

Une histoire calquée sur un vécu tragique

Sa réalisation et sa direction d’acteurs respirent la sobriété et l’intelligence. Exemplaire, tout comme l’interprétation qu’en offrent Marianne Basler, blonde et longiligne Marguerite, et Jean-Philippe Puymartin, Rabier, stratège illuminé et pervers. Leurs silences, leurs paroles, les oscillations de leur corps rendent tangibles toute la sombre ambiguïté de cette histoire calquée sur un vécu tragique puis racontée à distance. Les trois narrations, fondées sur des notes écrites en 1944/45 par Marguerite Duras, ne furent réécrites et publiées qu’en 1984. M.X dit ici Pierre Rabier en est la plus troublante.

Une confession qui sent le souffre

Est ce le grand art du "mentir vrai" de celle qui, la même année, allait décrocher le prix Goncourt pour L’Amant qui donne cette odeur de souffre à sa confession ? Ou l’impudeur affichée d’un auteur un brin exhibitionniste qui, à partir de là, allait se prendre pour Marguerite Duras avec la complicité béate d’une certaine intelligentsia parisienne ? Allez savoir... Dans ce M.X..., elle dit tout : son combat pour la libération de son mari, sa liaison déjà avec cet autre résistant, Dyonis Mascolo, qui deviendra son second mari et surtout son équivoque attirance de victime envers son bourreau.

Un portrait de femme dont la complexité dérange

De retour de déportation Robert Antelme écrivit L’espèce humaine, un témoignage sans fioritures, une référence absolue. La comparaison peut donner le vertige. Mais il s’agit ici d’un spectacle et d’un portrait de femme dont la complexité n’a pas fini de déranger. On le reçoit comme un immense point d’interrogation sur les ressorts intimes des pulsions humaines.

Monsieur X. dit ici Pierre Rabier, extrait de La Douleur, de Marguerite Duras, adaptation et mise en scène de Jacques Lassalle, scénographie et costumes : Marc Lainé, Nadine Bretelle. Avec Marianne Basler, Jean-Philippe Puymartin, Anne-Laure Brasey, Gregory Le Moigne, Frédéric Sonntag - Théâtre Artistic Athévains, mardi, vendredi, samedi à 20h30, mercredi, jeudi à 19h, samedi dimanche à 16h. Jusqu’au 8 février. Tél. : 01 43 56 38 32

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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