Mon coeur de Pauline Bureau
Bras de fer contre Servier, ou le scandale du Médiator
A partir de la décennie 90, un « coupe-faim » a parfois tué et souvent abîmé des milliers de femmes auxquelles bien des médecins avaient prescrit ce médicament apparemment innocent. Ce cachet aux dangereuses propriétés, appelé Médiator, est devenu célèbre dans nos annales judicaires : produit des laboratoires Servier, il est resté autorisé en France pendant plus de trente ans, alors que d’autres pays n’avaient pas tardé à l’interdire à la vente. La presse et l’édition ont raconté l’histoire de ce très grand scandale. Le cinéma a réagi avec un film sur la femme médecin, Irène Frachon, qui a alerté l’opinion et aidé un certain nombre de victimes. Et le théâtre ? Voilà le spectacle de Pauline Bureau qui a mené ses propres recherches, interrogé Irène Frachon et beaucoup de témoins, surtout des femmes dont la vie a été ruinée par le Médiator. La pièce raconte deux histoires : celle d’une vendeuse trentenaire qui se laisse conseiller par son médecin et prend ce coupe-faim dont la nature chimique la détruit à petit feu, celle d’Irène Frachon qui se bat d’abord seule contre tous pour faire disparaître cette substance mortifère. C’est l’histoire de la malade qui va dominer et que Pauline Bureau a construite à partir des témoignages de plusieurs victimes. Abîmée, la femme doit être opérée du cœur. Sa vie est fichue : plus de travail, plus de vie sexuelle, plus de liberté de mouvement. Bien conseillée par un avocat spécialisé dans le droit des victimes, elle affronte Servier en justice et gagnera une compensation qui lui rendra un peu de goût à la vie.
Ce n’est peut-être pas le spectacle le plus personnel de Pauline Bureau, dont on avait tant aimé les visions sociales de Sirènes et de Dormir cent ans. Mais c’est un dossier remarquablement constitué et porté à la scène. Pour la première fois aux Bouffes du nord, une partie de l’action se passe dans les hauteurs du théâtre ! La scénographe Emmnuelle Roy est parvenue à créer un aire de jeu au-dessus de la scène, de sorte que les événements se déroulent sur les différents points du plateau, en surplomb et sur des images vidéo – essentiellement les gros plans des personnages – projetées sur la partie la plus élevée du mur du fond. Les éléments du décor changent régulièrement, transformant, par exemple un modeste cabinet de médecin en un domicile de petite taille ou en une grande salle de réunion arbitrale. De la même façon, les acteurs changent de rôle, jouant médecins ou intervenants dans plusieurs métiers. Seuls, l’interprète principale, Marie Nicolle (magistrale, tout à fait saisissante), et le comédien chargé du rôle de l’avocat des victimes, Nicolas Chupin (très convaincant), ne se chargent pas de plusieurs rôles. Sans rien enlever à la force du théâtre éternel et artisanal – la présence d’acteurs d’une vie intense -, Pauline Bureau fait donner aussi les moyens modernes du son et de la vidéo comme pour frapper plus fort encore contre la violence des industries meurtrières. C’est de l’excellent théâtre politique d’aujourd’hui.
Mon cœur de Pauline Bureau, mise en scène de l’auteur, avec
Yann Burlot, Nicolas Chupin, Rébecca Finet, Sonia Floire,
Camille Garcia, Marie Nicolle, Anthony Roullier, Catherine Vinatier.
Dramaturgie
Benoîte Bureau
Composition musicale et sonore
Vincent Hulot
Scénographie
Emmanuelle Roy
Costumes et accessoires
Alice Touvet
Lumières
Bruno Brinas
Vidéos et images
Gaëtan Besnard
Collaboration artistique
Cécile Zanibelli.
Bouffes du Nord, 20 h 30 (sauf samedi 15 h 30) et dimanche, tél. : 01 46 07 34 50, jusqu’au 1er avril. (Durée : 2 h 05).
Photo Pierre Grosbois.