Michel for ever de Stephan Druet et Daphné Tesson

Déclaration d’amour

Michel for ever de Stephan Druet et Daphné Tesson

C’est presque au lendemain du décès du compositeur Michel Legrand fin janvier 2019 que Philippe Tesson a voulu rendre hommage au musicien dans son théâtre du Poche-Montparnasse. Il a sollicité le metteur en scène Stéphan Druet dont l’univers est tout autant théâtral que musical (on a pu voir sa dernière création musicale, Azor, cet hiver à L’Athénée). C’était la bonne personne, la musique de Michel Legrand l’accompagne depuis toujours. Sur le même principe que Berlin Kabarett (au Poche en 2018) mais bien sûr dans un style radicalement différent, il a conçu avec Daphné Tesson une petite merveille, en seulement trois semaines. S’il devait y avoir un seul hommage à Michel Legrand ce serait celui-là. L’exercice était périlleux car comment rendre compte du foisonnement d’une carrière si éclectique sans tomber dans le catalogue, sans se perdre dans les mille pistes possibles, sans céder à un trop grand respect qui aurait gelé la musique et viré à la commémoration. Stéphan Druet et Daphné Tesson ont concocté une sorte d’hommage en abyme à travers une petite fête entre amis, tous amoureux de Michel Legrand, une soirée qui swingue follement, sur un mode bon enfant et réglée à la perfection. Les quatre artistes qui mènent la danse sont épatants et fort talentueux ; comédiens, danseurs, chanteurs, ils sont accompagnés par deux musiciens excellents constamment à leur écoute, Benoît de Mesmay au piano et Jean-Luc Arramy à la contrebasse. On soulignera le plaisir d’entendre de la musique acoustique et des voix non sonorisées.
L’Argentin Sebastian Galeota (stupéfiant dans Berlin Kabarett), danseur, acrobate, chanteur, comédien, tient le fil rouge du spectacle ; Emmanuelle Goizé met sa voix d’opéra au service de la chanson avec un certain humour ; pour Gaétan Borg, rompu à la comédie musicale, le chant est une seconde nature ; Quant à Mathilde Hennekinne, elle nous ravit par ses qualités vocales et une véritable nature comique tout en nuances. La direction musicale de Stéphane Corbin illustre bien le paradoxe des compositions de Michel Legrand, « une musique savante avec des paroles du quotidien ». Le medley qui conjugue quatre chansons dans un entrelacs de voix est sidérant de virtuosité. Dans le registre de l’humour, une version très drôle de la chanson "Les don juan" de Claude Nougaro (musique M. Legrand, et oui !) chantée ici par les femmes. On rit aussi au retour du dialogue des Demoiselles de Rochefort, à chaque fois laissé en suspens : « Quelle heure est-il ? Midi moins le quart. Mon Dieu je suis en retard… ». Certains auront reconnu la scène rapidement esquissée de la rencontre cocasse avec Andy, le pianiste américain. Le ton, les costumes acidulés (Denis Evrard) évoquent beaucoup Jacques Demy auquel le spectacle rend presque autant hommage qu’à Michel Legrand.
Il a fallu bien entendu opérer des choix et pourtant on a l’impression que tout est là, toutes les gammes d’un répertoire haut en couleurs, la Nouvelle vague (dont on moque gentiment les tics et les travers), le jazz qui était comme son ADN depuis la révélation de Dizzy Gillespie, la carrière aux Etats-Unis (oscar pour la musique de L’affaire Thomas Crown en 1969, film évoqué dans une saynète fort drôle), les gens qui ont compté, les thèmes de prédilection, et surtout l’audace artistique, ludique, jubilatoire, libre dont il disait lui-même que c’était son moteur intérieur. En sortant du théâtre on se surprend à fredonner la mélodie de "Chanson pour un jour d’été" qui clôt le spectacle. Pour un peu on aborderait les passants pour leur enjoindre en chantant d’« Aimer la vie, aimer les fleurs/Aimer les rires, aimer les pleurs/Aimer le jour, aimer la nuit/Aimer le soleil et la pluie… ».

Michel for ever, un spectacle conçu et mis en scène par Stephan Druet et Daphné Tesson. Musiques de Michel Legrand. Avec Gaétan Borg, Sebastian Galeota, Emmanuelle Goizé, Mathilde Hennekinne, Benoît de Mesmay, Jean-Luc Arramy. Direction musciale, Stéphane Corbin ; arrangements musicaux, Benoît de Mesmay ; Costumes, Denis Evrard ; Chorégraphies, Alma Devillalobos ; lumières, Christelle Toussine. Au Poche Montparnasse à partir du 29 août 2019,du mardi au samedi à 21h15. Durée : 1h40. Resa : 01 45 44 50 21.

© Pascal Gély

A propos de l'auteur
Corinne Denailles
Corinne Denailles

Professeur de lettres ; a travaille dans le secteur de l’édition pédagogique dans le cadre de l’Education nationale. A collaboré comme critique théâtrale à divers journaux (Politis, Passage, Journal du théâtre, Zurban) et revue (Du théâtre,...

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