Michel-Ange et les Fesses de Dieu de Jean-Philippe Noël

Sixtine blues

Michel-Ange et les Fesses de Dieu de Jean-Philippe Noël

Pas simple le rapport entre un commanditaire et l’artiste qui travaille pour lui. Le bailleur de fonds voudrait que le peintre soit souple et obéissant : c’est rarement le cas. Encore moins quand l’exécutant s’appelle Michel-Ange et qu’il s’agit de peindre les 800 mètres du plafond de la chapelle Sixtine, à Rome ! Jean-Philippe Noël a imaginé le dialogue, sans cesse interrompu par les événements, sans cesse repris, que l’ombrageux génie de la Renaissance a entretenu avec ce qu’on appellerait aujourd’hui dans notre société du spectacle son producteur, le pape Jules II. Nous sommes en 1508 et la mission imposée est de mettre en images les douze apôtres. Michel-Ange, qui s’estime plus sculpteur que peintre, accepte néanmoins le contrat et refuse de prendre des assistants, en dehors d’un serviteur qui ne manie pas le moindre pinceau. Le travail va durer quatre ans, au cours desquels Michel-Ange, toujours aux limites de ses forces, va cacher l’œuvre en cours et parfois s’enfuir pour changer d’air (et faire d’autres oeuvres !). Régulièrement, le pape Jules II débarque et veut savoir où en est la fresque qui devrait rendre gloire à Dieu – et à lui, le grand Jules. Il tonne, exige, menace. Michel-Ange se moque de tant d’ambition, se lamente quand la fatigue est trop lourde, rejoint vite l’échafaudage qui le mène à l’épuisante position d’artiste couché. Un jour, le plafond est peint. On n’y voit pas les douze apôtres, mais la création du monde selon la Genèse, où tout est charnel, même les fesses de Dieu…
Jean-Philippe Noël, qui n’a pas triché avec la vérité historique mais s’est accordé les libertés du modeleur intrépide, nous apprend bien des choses que nous ignorions : l’aspect guerrier des papes d’alors (Jules II sera en cuirasse lors d’une des scènes), l’importance du contexte d’une Italie alors morcelée en de nombreux états, le dédain des Florentins et des Romains pour les Français… Mais Jean-Philippe Noël brasse surtout l’argile des cerveaux, si fragile sous les rodomontades. Il oppose la violence du pouvoir et l’indépendance de l’art, en une série d’étapes où chacun se défend, évolue et se fortifie dans des blessures et des échecs inavoués. Au finale, avantage à l’artiste, évidemment. Mais, pour lui, quelle guerre contre lui-même et contre les puissances temporelles ! Jean-Philippe Noël entrechoque tout cela avec une grande puissance joyeuse des mots. La très intelligente mise en scène de Jean-Paul Bordes bannit la peinture de Michel-Ange de notre vision. Nous n’avons devant nous qu’un morceau de chapelle, transformé en atelier et en pièce à vivre comme on dirait bêtement aujourd’hui, et l’échafaudage qui, partiellement masqué par un rideau, monte vers les hauteurs. Les deux pôles de Michel-Ange : le sol et le ciel. A chaque fois qu’on sort et qu’on entre, c’est la solitude de l’artiste qui est mise en question. Chaque fois un combat entre l’art et la vie,entre le silence du génie et le bruit des potentats. Lumineuse mise en scène ! Jean-Paul Bordes est lui-même ce Michel-Ange plus chrétien que le chef des chrétiens : il est sans cesse dans une ronde des tourments qu’il éclaire d’une malice tendre et d’une pugnacité fluctuante. Boueversant, il est absent et présent, sans cesse dans le poème qu’il a en lui et sans cesse projeté dans la violence du monde qui s’invite dans la chapelle. François Siener est Jules II d’une manière plutôt colossale, tantôt prélat jusqu’au bout du surplis, tantôt matamore jusqu’au métal bosselé de sa cuirasse endommagée : il fait flamber les phrases quand Jean-Paul Bordes les enveloppe de secret et de solitude. Siener est le fouet et Bordes la blessure. Jean-Paul Comart donne au personnage du serviteur la dignité populaire des grands valets, pas ceux qui raillent l’ordre social, non ceux qui sont aimants et parlent pour tous ses semblables. C’est une pièce qui avance en vagues. Certains vagues sont d’un tempo lent, et d’autres d’une glissade rapide. C’est que ce magnifique bras de fer entre le bras armé de l’Eglise et le bras désarmé de l’artiste ne désigne son vainqueur qu’au fil sinueux du temps.

Michel-Ange et les fesses de Dieu 
de Jean-Philippe Noël, mise en scène de Jean-Paul Bordes, assisté de Dominique Scheer, scénographie de Nils Zachariasen, costumes de Pascale Bordet assistée de Solenne Laffitte, lumières de Stéphane Balny, création sonore de Michel Winogradoff, avec François Siener, Jean-Paul Bordes, Jean-Paul Comart et César Dabonneville. Une création de la compagnie Tabard-Sellers.

Théâtre 14, du lundi au samedi, tél. : 01 45 45 49 77, jusqu’au 24 février. Texte aux éditions des Cygnes. (Durée : 2 heures).

Photo Laurencine Lot.

A propos de l'auteur
Gilles Costaz
Gilles Costaz

Journaliste et auteur de théâtre, longtemps président du Syndicat de la critique, il a collaboré à de nombreux journaux, des « Echos » à « Paris-Match ». Il participe à l’émission de Jérôme Garcin « Le Masque et la Plume » sur France-Inter depuis un quart...

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