Michaël Levinas bifrons

Pianiste hors pair et compositeur fécond, Michaël Levinas n’a rien d’un artiste consensuel. Et c’est tant mieux.

Michaël Levinas bifrons

En marge de la création de son opéra La Métamorphose, qui vient d’avoir lieu à l’Opéra de Lille, Michaël Levinas nous rappelle qu’il est aussi pianiste, et ce via un coffret de onze disques reprenant quelques uns de ses enregistrements les plus mémorables, notamment six sonates pour piano de Beethoven (dont la monumentale « Hammerklavier  », op. 106), plusieurs œuvres de Schumann (le Carnaval op. 9, les Études symphoniques), le Clavier bien tempéré de Bach, les Études de Scriabine, sans oublier des mélodies de Fauré avec Magali Léger. Du compositeur, également représenté dans cet ensemble, on pourra réentendre ou découvrir, par exemple, La Conférence des oiseaux, le Premier Quatuor à cordes, la célèbre Ouverture pour une fête étrange et, couplées avec celles de Ligeti, les Études pour piano. On peut ne pas aimer la manière dont Michaël Levinas, parfois, noie sa musique et en dérobe les subtilités sous les flots de la technologie (celle de l’Ircam, par exemple, comme ce fut encore le cas avec La Métamorphose), mais on a là un panorama évocateur d’une personnalité sincère, indifférente aux modes et aux engouements du moment, même si, étrangement, Levinas a conscience qu’il s’adresse à ses contemporains avant de parler pour la postérité : « Il y a quelque chose d’animal dans l’être humain qui l’adapte à certaines circonstances de son époque. (…) A ce propos, quand on dit que quelqu’un ‘ne comprend plus son siècle’, ce n’est pas un acte de vieillissement, c’est un fait constitutif. »

Michaël Levinas est un interprète hors pair, également, qui nous offre un Beethoven tendre et violent, un Schumann habité mais soigné (il y a toutes les reprises dans sa « Chiarina » du Carnaval, ce qui n’est pas le cas de toutes les interprétations de cette œuvre), un Bach au piano Steinway qui tend vers l’intemporel malgré le choix de l’instrument ou grâce à ce choix, le débat est sans fin. Il est toujours difficile de trouver les épithètes qui peuvent au mieux définir l’art d’un pianiste, mais celui de Levinas est de ceux qui vont voir de l’autre côté non pas du miroir mais de la partition. « La composition est sortie chez moi de la pratique instrumentale, raconte Michaël Levinas. C’est au clavier, à l’instrument, au piano, que j’ai trouvé la relation avec l’invention. » Passionné par les figures du visage (sur les traces de son père, le philosophe Emmanuel Levinas) et du livre, Michaël Levinas s’est toujours interrogé sur le signe musical. S’il n’a jamais été improvisateur, c’est que le problème de la notation musicale et du papier a toujours habité sa double sensibilité de pianiste s’attaquant aux grands textes et de compositeurs essayant de noter la musique et d’inventer de nouveaux codes avec les outils mis à sa disposition par les ingénieurs.

Un historien du troisième millénaire, si le monde existe encore, dira peut-être en quoi la fin du XXe et le début du XXIe siècle ont vu se télescoper l’art et la technique et qui des deux en est sorti vainqueur, si cette question a le moindre sens.

« Michaël Levinas, Double Face ». Œuvres de Bach, Beethoven, Schumann, Fauré, Scriabine, Ligeti, Levinas. Avec Michaël Levinas, piano ; Michaël Lonsdale, récitant ; les ensembles L’Itinéraire, Musiques nouvelles, l’Orchestre philharmonique de Radio France, etc. 11 CD Accord 476 4269. 50 euros environ.

Voir le site de Michaël Levinas

A propos de l'auteur
Christian Wasselin
Christian Wasselin

Né à Marcq-en-Barœul (ville célébrée par Aragon), Christian Wasselin se partage entre la fiction et la musicographie. On lui doit notamment plusieurs livres consacrés à Berlioz (Berlioz, les deux ailes de l’âme, Gallimard ; Berlioz ou le Voyage...

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