Ma Jeunesse exaltée d’Olivier Py

Arlequin, conscience sociale d’un peuple responsable

Ma Jeunesse exaltée d'Olivier Py

Pour sa dernière création comme artiste-directeur du Festival d’Avignon, Olivier Py revient à la forme épique. Ma Jeunesse exaltée s’inscrit en miroir à La Servante qui, en 1995, inaugura son aventure avec cette manifestation hors norme. Metteur en scène de théâtre et d’opéra, réalisateur mais aussi comédien et auteur, Olivier Py ancre son œuvre au cœur de la jeunesse et des préoccupations de ses contemporains pour ouvrir avec eux un dialogue poétique et politique.

« Quelque chose vient ! Quelque chose vient toujours. Et si rien ne venait ? » Ainsi se résument l’attente et la fébrilité d’une jeunesse en manque de reconnaissance, d’amour et de valeurs - la présence de Dieu, le rêve d’une révolution sociale, les pouvoirs de l’art, de l’amour et de l’amitié, contre les puissances économiques et financières du tout mondialisé et du tout numérisé.

Alcandre est un vieux poète oublié, presque désabusé mais suffisamment alerte pour déceler le génie poétique quand il le croise. Xavier Gallais dans le rôle est inénarrable, une sorte d’Oblomov constamment étendu sur sa couche, rêvant le monde et la littérature « vraie », fanatique de Rimbaud. Il est vêtu d’une robe de chambre dont la doublure intérieure rappelle les couleurs d’Arlequin - une répétition, une réplique antérieure comme in-aboutie de l’action à venir d’Arlequin.

C’est ce que le vieux poète perçoit chez un livreur de pizzas l’insolence d’un nouvel Arlequin. - beauté, énergie existentielle, profondeur mystique qui le séduisent et font qu’il l’aime irrésistiblement. Il révèle le jeune fou à ses contemporains, le portant aux nues. L’image d’un Arlequin triomphant laisse entrevoir la revanche de la poésie sur le matérialisme ambiant.

Le vieux poète et le jeune Arlequin vont lancer contre tous les puissants leurs canulars salvateurs.
Une farce échevelée composée de l’humanité de personnages délirants qui se débattent avec leurs désirs inassouvis, les espoirs de transcendance ou bien leurs simples espérances. Comme dit le vieux Pygmalion à sa créature : « Je te donne le monde ; je tourne le regard du monde vers toi. Je fais de toi l’étincelle dans la nuit du monde. Et toi, tu m rends ce que j’ai perdu ».

Dans cette comédie à la fois burlesque et grave, Olivier Py prend plaisir à railler les institutions qui voient dans la culture un objet de spéculation, destiné à augmenter davantage leur pouvoir et leurs intérêts financiers. Arlequin pallie à cet avilissement en ravivant la joie et les feux de l’amour :
« Rouvrir le chemin spirituel, lutter contre la disparition du sens, rendre possible le possible, combats donquichottesques ou dignité d’une génération ? »(Quatrième de couverture).

Les thèmes privilégiés d’Olivier Py au théâtre sont identifiables d’emblée : la nostalgie de la jeunesse perdue, le mysticisme, la quête du poème, le don de soi à un théâtre sacralisé - vérité de la vie. Mouvements, effervescence d’un présent qu’on voudrait mieux construire, la mise en scène est fidèle à l’idée souveraine d’une belle présence au monde que tout être conscient devrait servir.

Accompagnés d’un quatuor de jeunes acteurs, l’histrion et son mentor préparent des canulars qui seront les pierres angulaires d’une tétralogie épique. Et, figure mythique de la comédie, morcelée, rapiécée et multicolore, Arlequin est le héros flamboyant d’une quête de sublime au-delà de soi.

Bertrand de Roffignac excelle dans l’art d’Arlequin, mobile et vivant, comique et résistant. Il donne vie à ses costumes emblématiques successifs avec un brio et une désinvolture rayonnantes.

Aux côtés des anciens, Olivier Balazuc, Damien Bigourdan, Céline Chéenne, Xavier Gallais …, une nouvelle génération d’interprètes anime l’épopée fantasque. Les excellents Pauline Dehons, Émilien Diard-Detœuf, Geert van Herwijnen et Eva Rami sont les jeunes héritiers de toute la mémoire du théâtre pour une épopée entre manifeste, célébration et pèlerinage. Sur la scène, les interprètes sont convaincants dans leurs déclamations admirables- morceaux de bravoure verbale.

Au gymnase Aubanel, l’auteur-metteur en scène réinstalle le décor imaginé vingt-sept ans auparavant pour La Servante. Des structures mobiles de bois pour Ma Jeunesse exaltée, sont déplacées et réajustées sans cesse grâce aux efforts physiques des techniciens et des acteurs.

Du promontoire aussi, les personnages s’adressent depuis les hauteurs au public. Le proscenium s’articule comme une machine à jouer pour dix acteurs et deux musiciens, lancés dans la fresque folle tragi-comique, pièce précieuse de transmission et passage de relais qui emporte l’adhésion.

Une performance théâtrale, une grande farce comique dont on ne boude pas le plaisir généreux.
Ma Jeunesse exaltée, texte (édit. Actes Sud-Papiers) et mise en scène d’Olivier Py.

Avec Olivier Balazuc, Damien Bigourdan, Céline Chéenne, Pauline Dehons, Émilien Diard-Detœuf, Xavier Gallais, Geert van Herwijnen, Julien Jolly, Flannan Obé, Eva Rami, Bertrand de Roffignac, Antoni Sykopoulos. Scénographie, costumes et maquillage Pierre-André Weitz, lumière Bertrand Killy, Composition et percussions Julien Jolly, Chansons originales (paroles et compositions) Olivier Py, arrangements Antoni Sykopoulos. Les 8, 9, 10, 12, 13, 14 et 15 juillet 2022 à 14h, Gymnase du Lycée Aubanel Avignon.
Crédit photo : Christophe Raynaud de Lage

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Véronique Hotte

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