Critique – Opéra & Classique

Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti

Mise en scène sans relief, voix superbes

Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti

On ne peut pas gagner à tous les coups. Lauréat cette année du prix du meilleur spectacle lyrique décerné par l’Association des professionnels de la critique pour son Orfeo de Luigi Rossi (voir WT 4997 du 8 février 2016) l’Opéra National de Lorraine achève sa saison sur une déception. L’un des chefs d’œuvre belcantiste du très prolifique Gaetano Donizetti n’y a pas atteint les dimensions espérées.

Mise en scène sans relief, décors et costumes sans charme, direction d’orchestre sans flamme… Mais distribution étoilée qui a superbement sauvé la mise. Erin Morley, Rame Lahaj, Jean-François Lapointe, Jean Teitgen : les voix étaient à la hauteur de l’enjeu.

Jean-Louis Martinelli, homme de théâtre connu, reconnu, semble ici avoir laissé son inspiration au vestiaire. Il se conforme aux modes désormais usées des transpositions dans le temps pour aborder et traiter ce mélodrame au romantisme tortueux que le compositeur de Bergame tira d’une nouvelle de Walter Scott. En situant l’Ecosse ombrageuse, sa guerre des clans et le destin tragique d’une amoureuse entravée sombrant dans la folie, dans la neutralité des années soixante du XXème siècle, Martinelli la dépouille de sa dimension métaphorique. Il voulait, selon le programme, en assimiler l’intrigue et ses rebondissements aux séries télé américaines ou anglaises. Si ce but « vintage » est atteint, le résultat n’est guère convaincant.

Le décor dépouillé de Gilles Taschet, - un espace vide, un fond de scène amovible s’ouvrant sur des vidéos d’océan mouvant - offre une gamme de possibilités diversement exploitées, pas toujours à bon escient – le château d’Edgardo au troisième acte se limite à un panneau écarlate descendu à l’avant-scène, la scène de folie de Lucia devient un numéro de cabaret avec rideaux rouges et guirlande lumineuse -.

Les images de la mer démontée, le cheval blanc qui en surgit au galop, les brouillards argentins se transformant en fumigènes qui déferlent sur le plateau, toutes ces échappées vers des ailleurs incontrôlés (signés Hélène Guétary) constituent des tableaux d’une grande beauté que les lumières de Jean-Marc Skatchko balaient d’irréalité. Elles ne suffisent pas, hélas, à masquer la banalité, voire la laideur des costumes, ni à se substituer à une direction d’acteurs restée le plus souvent aux abonnés absents. De la part d’un homme de théâtre aussi talentueux que Martinelli, cette déficience est incompréhensible. Sa mise en scène frôle la version de concert. Il faut bien se rendre à l’évidence, la plupart des scènes sont jouées de façon quasiment statique, face au public. Les solistes envoient leurs arias – si belles – plantés à l’avant-scène. Il ne leur manque que la main sur le cœur pour rejoindre les traditions d’un antan oublié.

Ils sont par bonheur magnifiques. Pour la soprano américaine Erin Morley, cette Lucia de passion et de douleurs est une prise de rôle réussie. Elle fut récemment une Sophie au timbre cristallin dans la reprise du Chevalier à la Rose de Richard Strauss au Palais Garnier (voir WT 5145 du 13 mai). On avait regretté un manque de volume. Il apparaît ici, toujours étroit, dans la première scène mais très vite s’élargit, occupe l’espace, jusqu’à le transcender avec des vocalises vertigineuses et des chimériques suraigus qui font de son personnage l’un des défis du répertoire. Légèreté de timbre et délicatesse de jeu frôlant parfois la timidité, elle réussit en fin de parcours à dominer une belle palette de couleurs et de sentiments.

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Mais c’est son partenaire et amoureux, l’Edgardo du jeune ténor kosovar Rame Lahaj, encore peu connu, qui a emporté la palme de la séduction par l’intensité de son jeu, flambant, viril, engagé par sa tessiture moirée, son medium aux nuances de feu. Enrico, le frère abuseur puis repenti, bénéficie du métier rôdé et de la puissance de projection et de la somptuosité du timbre du baryton canadien Jean-François Lapointe, la basse Jean Teitgen incarne en sobre gravité Raimondo, le pasteur bienveillant, Emanuele Giannino est crédible en Normanno, le méchant délateur, tout comme Christophe Berry/Arturo ou Valeria Tornatore en Alisa, la suivante dévouée et inquiète.

Le plaisir qu’ils apportent est toutefois assombri par une direction d’orchestre sans relief. Le chef Corrado Rovaris manie la baguette à la manière d’un fonctionnaire. Les flammes donizettiennes ont du mal à brûler, l’orchestre symphonique et lyrique de Nancy semble un peu orphelin. Exception faire pour l’harmonica de verre qui sous le doigté sensible de Sascha Reckert commente si finement les dérives fantasques de la scène de la folie.

Lucia di Lammermoor de Gaetano Donizetti, livret de Salvatore Cammarano d’après le conte de Walter Scott. Orchestre Symphonique et lyrique de Nancy, direction Corrado Rovaris, chœur de l’Opéra National de Lorraine, harmonica de verre par Sascha Reckert, mise en scène Jean-Louis Martinelli, décors Gilles Taschet, costumes Patrick Dutertre, lumières Jean-Marc Skatchko, vidéo Hélène Guétary, images numériques Studio Mac Guff. Avec Erin Morley, Rame Lahaj, Jean-François Lapointe, Jean Teitgen, Emanuele Giannino, Christophe Berry, Valeria Tornatore.

Nancy – Opéra National de Lorraine les 22, 24, 28 & 30 juin à 20h – le 26 à 15h.

03 83 85 33 11 – www.opera-national-lorraine.fr

Photos : Opéra National de Lorraine

A propos de l'auteur
Caroline Alexander
Caroline Alexander

Née dans des années de tourmente, réussit à échapper au pire, et, sur cette lancée continua à avancer en se faufilant entre les gouttes des orages. Par prudence sa famille la destinait à une carrière dans la confection pour dames. Par cabotinage, elle...

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