Lohengrin de Richard Wagner

Un décor surprenant : grotte ou crâne ?

Lohengrin de Richard Wagner

Dès le lever du rideau on a une première surprise : à la place de l’espace ouvert que demande le livret, on se trouve enfermé dans une grotte taillée dans l’ardoise –obscure, froide, dure et feuilletée- avec des ouvertures pratiquées sur le plafond et les côtés. Alexander Polzin a imaginé un décor impressionnant par ses dimensions ; il a certainement voulu illustrer le repli du protagoniste, son refus de décliner son identité et donc de dévoiler sa personnalité, point fondamental du récit. Le scénographe a vivifié la scène –pesante et statique- grâce à des éclairages, signés Urs Schönebaum, simulant la lumière naturelle pénétrant dans la grotte et dirigeant ses rayons dans tous les sens, dans le plus total irrespect des lois de la physique newtonienne.

Le décor et les éclairages ont ainsi créé un monde irréel, onirique, agressif – une représentation probable de l’intérieur du crâne du héros - qui, d’entrée de jeu, a interdit toute tentative de relier les évènements de l’opéra avec le moyen âge européen. Or la liaison était en principe possible – et elle est d’ailleurs très souvent utilisée - car le livret fait mention des luttes du ducat de Brabant contre les envahisseurs hongrois, mais aussi parce que l’on peut tisser des liens entre Parsifal –père de Lohengrin- et l’Espagne visigotique du sixième siècle.

Fi donc de l’histoire « vraie », le récit s’est centré sur l’effet ambivalent de confiance, mais aussi de méfiance que suscite l’étranger de passage. Telle a été l’interprétation psychologique, loin du réel, que Lukas Hemleb a donnée de l’œuvre, s’appuyant sur le décor, les éclairages et les costumes signés Wojciech Dziedzic.

Un orchestre respectueux de la tradition

La partie musicale de la représentation s’est placée sur un tout autre registre ; elle a perpétué la tradition wagnérienne la plus pure qui soit, à commencer par l’interprétation de l’orchestre titulaire du Teatro Real sous les ordres de Harmut Haenchen. Le maestro, avec un soin de tous les instants, a imposé à la fosse la stricte obéissance aux demandes de la partition et ce depuis les toutes premières mesures de la sublime ouverture. Par la suite, même s’il a, ici et là, varié les intensités des legati -une option possible dans les canons wagnériens-, et s’il a laissé les chanteurs –en particulier Christopher Ventris- pratiquer le rubato en toute liberté, il a obtenu des intensités souvent impressionnantes des métaux, l’expression et la douceur des bois, et un sentiment d’émotion et de recueillement dignes du vendredi saint de Parsifal des cordes aigües.

Fait insolite, le chœur titulaire du Real est actuellement constitué en sa totalité de membres d’une société privée –« Intermezzo » - qui loue ses choristes aux théâtres qui souhaitent renforcer ponctuellement leurs effectifs pour une production déterminée, voire, comme c’est le cas du Real, lui céder totalement l’entière gestion du chœur. Il s’agit d’une initiative unique en son genre –même si on connaissait déjà l’existence d’agents pour la gestion des chanteurs solistes- qui semble remporter un vif succès en Espagne (Barcelone, Séville, Bilbao,.. utilisent couramment ces services). Sous les ordres d’Andrés Masperó, lui-même membre du Real à part entière, les choristes nombreux et disciplinés, ont donné une excellente leçon de chant. Avec une pâte vocale très homogène, ils ont maintenu la clarté de chaque pupitre, en particulier lors des morceaux chantés à capella, et nuancé la puissance de leurs émissions en fonction de la demande de la partition. Plus difficile, ils ont aussi donné la nette l’impression de bien comprendre le contenu sémantique des textes chantés, qualité qui fait souvent défaut à bien des solistes !

Le triomphe de Catherine Nagelstad dans le rôle d’Elsa von Brabant.

L’ensemble des solistes a été à la hauteur de l’évènement. Les aficionados madrilènes l’ont ainsi bien compris et ont applaudi abondamment les performances des uns et des autres. Celles du couple maudit bien entendu : Thomas Johannes Mayer, Telramund sans scrupules a accusé Elsa de sa voix sombre, virile et bien timbrée, que son geste ample et non dépourvu d’élégance a accompagné à tout moment ; à ses côtés pour le meilleur et pour le pire, Deborah Polaski en Ortrud, regard perçant, et langue de vipère, maîtrisant Elsa du regard et chantant avec une voix sans doute un peu trop belle et d’émission trop fine pour le rôle, s’est servie à bon escient de son vibrato involontaire, pour accentuer la noirceur de son personnage inquiétant et anxiogène. Franz Hawlata a campé un roi Heinrich impartial, juste et solennel. Christopher Ventris –Lohengrin- a quelque peu écorché les mélodies en abusant du rubato, comme il a été dit, mais il a malgré cela réussi à rendre le mystérieux chevalier attachant pour le peuple et attaché au cœur de la malheureuse Elsa et, bien que la fatigue ait diminué son intervention finale, le célèbre « In fernem Land », le public ne lui en a pas voulu, tant son travail a été appliqué, sérieux et de bon aloi.

C’est finalement l’américaine Catherine Nagelstad, au sommet de son art qui s’est hissée au plus haut niveau de qualité artistique au terme de la soirée. Elle a donné une version d’Elsa qui restera dans les mémoires grâce à la maîtrise dramatique –tant du geste que du regard- qui accompagnait et appuyait son incomparable art vocal, nuancé, sûr, net et sans bavures. Ces multiples atouts ont rendu vraisemblable le personnage complexe de la princesse brabançonne.

Lohengrin Richard Wagner. Orchestre et choeur du Teatro Real de Madrid. Direction musicale Hartmut Haenchen. Mise en scène Lukas Hemleb. Scénographie Alexander Polzin. Lumières Urs Schönebaum, costumes Wojciech Dziedzic. Avec (le 24 avril 2014) Christopher Ventris, Catherine Nagelstad, Thomas Johannes Mayer, Deborah Polaski, Franz Hawlata, Ander Larsson etc...

Teatro Real de Madrid, les 3, 6, 7, 10, 11, 13, 15, 17, 19, 20, 22, 24, 27 avril 2014

www.teatro-real.com
Renseignements : 00 34 902 24 48 48 - Vente : 00 34 902 24 48 48

Photos : Javier del Real/ Teatro Real

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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