Critique – Opéra-Classique

Les caprices de Marianne d’Henri Sauguet

Oh amour, mystérieux amour !

Les caprices de Marianne d'Henri Sauguet

Les caprices de Marianne (1954) opéra d’Henri Sauguet (1901-1989), est très fidèle à la célèbre pièce d’Alfred de Musset (1851). Cependant, le siècle qui sépare les deux œuvres a connu bien des changements artistiques et donc, les influences subies par le compositeur apportent des clés qui enrichissent les personnages et les situations théâtrales. Ceci vient combler la nécessaire brièveté et perte de compréhension par le public du langage chanté dans un opéra, par rapport au langage parlé dans une pièce théâtrale. Rappelons qu’Henri Sauguet cherchait avant tout la clarté musicale, mais admirait aussi Claude Debussy, et le travail du « groupe des six », d’Éric Satie entre autre.

Par exemple, les fréquentes références à Pelléas et Mélisande apportent onirisme et mystère au personnage de Coelio, ou encore, la complexité tonale et rythmique du premier acte en particulier, qui va du debussysme à la tarentelle napolitaine, enrichit l’illustration des situations dramatiques. C’est bien à cause du décalage entre le texte et la musique que l’opéra d’Henri Sauguet –romantique par le livret mais moderne par la partition- fut froidement accueilli au Festival d’Aix-en-Provence en 1954 : les traditionalistes lui reprochant son audace musicale, les autres jugeant sa modernité bien trop timide.

Une histoire très romantique

Rappelons brièvement l’histoire, bien connue, des Caprices de cette femme mal mariée : une femme jeune –Marianne-, mariée à un vieux juge - Claudio- découvre l’amour non pas sous les traits de son soupirant à l’âme de poète – Coelio -, mais sous ceux d’Octave, l’ami de celui-ci, un libertin, cousin du mari. Octave intercède pour Coelio auprès de Marianne. Par « caprice », Marianne donne un rendez-vous galant à Octave, qui, lui, par amitié, cède la place à Coelio. Claudio, mis au courant du rendez-vous, prépare un guet-apens dont Coelio sera la victime. Octave est effondré. La dernière tentative de Marianne pour le séduire échoue : « Je ne vous aime pas Marianne : c’était Coelio qui vous aimait » conclut Octave avec cette phrase sans appel.

Un décor intéressant, une mise en scène lisible

Dès la levée du rideau on découvre le décor de Patricia Ruel : une perspective délirante de la célèbre galerie napolitaine Umberto Premier avec le dôme en verre, menaçant, qui accentue la fragilité des personnages. Au centre, la silhouette en noir et blanc de Marianne habillée à la mode des années 1950, l’époque de la création de l’opéra. Au passage, les costumes de Laurence Mongeau ont contribué à situer la pièce à époque du « miracolo italiano ». Les quatre cents ans qui nous séparent de l’action originale -Alfred de Musset situe l’action dans le Naples du seizième siècle-, n’ont pas gêné la compréhension de l’histoire, même si le côté romantique du langage a pu surprendre par moments : le libertin Octave juge ainsi l’altière Marianne « Rose de Bengale, sans épines et sans parfum ». Dans ce décor unique, Oriol Tomas a travaillé sa mise en scène, limpide et transparente, lumineuse -nous sommes à Naples-, en contraste total avec le tragique final de la pièce. La production présentée doit faire le tour de l’hexagone en 2015.

Un orchestre cohérent, des voix bien adaptées à leurs rôles

La musique d’Henri Sauguet n’a pas présenté des difficultés majeures ni pour le Directeur Gwennolé Rufet ni pour les instrumentistes. L’orchestre a parfaitement suivi les changements fréquents de rythme et même de style musical au premier acte en particulier, où le compositeur a créé une ambiance particulière pour chaque personnage. Sur la scène les jeunes exécutants se sont montrés disciplinés envers le directeur de scène et très obéissants aux indications du chef. Aurélie Fargues –une voix claire, sans trop de timbre, légère et flexible- a incarné une Marianne froide et dévote au départ, enfermée et sécurisée à l’intérieur du mariage et de l’Eglise. Curieuse ensuite du monde extérieur au sien et même amoureuse elle a pu constater à ses dépens que le monde ne tournait pas autour d’elle seule. Le ténor Cyrille Dubois à la voix ductile, expressive, angélique, a apporté de la grâce et de la poésie à ce Naples intemporel, alors que le baryton Marc Scoffoni, a incarné la force, le pragmatisme, la vie en somme de sa voix chaude et virile avec un rien de métal qui a accentué la force de caractère du personnage malgré sa vie dissolue. Xin Wang a joué à la perfection l’aubergiste napolitain, rôle bien défini par une musique italianisante à souhait. Jean-Vincent Blot a interprété la duègne, un rôle travesti qui a été très applaudi. Thomas Dear –le juge Claudio- et son valet Tibia –Carl Ghazarossian- ont défendu dans des registres graves parfaitement tenus les rôles moins sympathiques du mari et de son valet. L’intervention de la mezzo Julie Robard-Gendre, dans le rôle d’Hermia, la mère de Coelio, a été très appréciée par le public à la fin de la représentation.

Les caprices de Marianne, opéra en deux actes d’Henri Sauguet d’après la pièce de théâtre éponyme d’Alfred de Musset. Orchestre de l’Opéra de Massy. Direction musicale Gwennolé Rufet. Mise en scène Oriol Thomas, décors Patricia Ruel, costumes Laurence Mongeau, lumières Etienne Bucher. Avec : Aurélie Fargues, Julie Robard-Gendre, Marc Scoffoni, Cyrille Dubois, Carl Ghazarossian, Xin Wang, Tiago Matos, Jean-Vincent Blot .

Coproduction du Centre Français de Promotion Lyrique avec 15 maisons d’opéra : l’Opéra Grand Avignon, l’Opéra National de Bordeaux, L’Opéra-Théâtre de Limoges, l’Opéra de Marseille, l’Opéra de Massy, l’Opéra-Théâtre de Metz Métropole, l’Opéra de Nice, l’Opéra de Reims, l’Opéra de Rennes, l’Opéra de Rouen Haute-Normandie, l’Opéra-Théâtre de Saint-Etienne, le Théâtre Capitole de Toulouse, l’Opéra de Tours, l’Opéra de Vichy et l’Avant-Scène Opéra/ Suisse.

Opéra de Massy le 5 et 7 décembre 2014.

www.opera-massy.com - +33 (0)1 60 13 13 13

En tournée à l’Opéra de Marseille : les 29, 30, 31 janvier et 1er février 2015

Photos : Jacques Galaup

A propos de l'auteur
Jaime Estapà i Argemí
Jaime Estapà i Argemí

Je suis venu en France en 1966 diplômé de l’Ecole d’Ingénieurs Industriels de Barcelone pour travailler à la recherche opérationnelle au CERA (Centre d’études et recherches en automatismes) à Villacoublay puis chez Thomson Automatismes à Chatou. En même...

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